Shamash

‘… Il voit devant lui un jardin merveilleux dont les arbres portent des pierres précieuses au lieu de fruits il voit les rubis, les cornalines, les lapis-lazuli qui pendent en grappes leur vue est agréable et réjouit le cœur, il voit aussi l’épine et la ronce qui portent des pierres précieuses et des perles de mer.

Le dieu Shamash apparaît à Gilgamesh et lui dit :


« Où vas-tu Gilgamesh ? la vie que tu cherches tu ne la trouveras pas. »

Gilgamesh dit au grand dieu Shamash : « Lorsque je serai mort la défaite n’envahira-t-elle pas mes entrailles ? Me voici, par peur de la mort errant dans le désert moi-même ne vais-je pas me coucher pour ne plus jamais me lever ? Ô laisse mes yeux contempler le soleil ainsi je serai inondé de lumière. L’obscurité se retire lorsque la lumière éclate ô que celui qui est mort puisse voir l’éclat du soleil ! »

L’épopée de Gilgamesh, Shamash Le dieu-soleil, traduit et adapté par Abed Azrié // Sur la montagne d’Albion, 18-08-19.

E la nave va

-Psst ! fines-pattes, je ne m’attendais pas à te trouver là !

-C’est toi fine-taille ! Je cherche un peu de jus de mûre mais sans succès et je meurs de soif… Et toi ?

-Moi aussi j’ai très soif fines-pattes, la chaleur est insupportable même à l’ombre et ça brûle sous le pas… Si tu cherches à boire par-ici tu es mal parti ! Tout est sec … manque de pluie, trop de vent brûlant… tous les fruits habituellement juteux restent verts et se dessèchent sur place. C’est une année difficile nous manquons de nutriments et les œufs seront moins nombreux. Si rien n’est fait notre colonie va s’effondrer.

-Tu es sérieuse fine-taille ?

-Oui, j’ai entendu dire que nous disparaissions…

-Il faut fuir , se répandre, quitter cet endroit tout de suite !

-Si on nous laisse le temps ! On va tenter de se déplacer vers les sommets… moins de nourriture mais aussi moins d’hommes et plus de fraîcheur.

-Viens me chercher quand tu partiras fine-taille, nous cheminerons ensemble…

-Je n’y manquerais pas fines-pattes, adieu!

Avant les mots

Imagine les yeux qui ont vu cela : le ciel s’ouvrant finement en une découpe nette laissant surgir cette forme mystérieuse d’un au-delà du bleu visible et plein et des nues le parcourant.

Quelles insondables sensations a fait jaillir chez ceux qui le voyait, ce disque partiel tâché et lumineux surgissant ? Que penser face à la forme d’une nuit, d’un jour, apparaissant sans un bruit et disparaissant tout pareil ? L’envie me prend de dresser la liste de tous les sentiments que fait naître -et peut-être à eux de la même façon qu’à moi – cette forme incompréhensible se glissant subrepticement dans le bleu… la peur… l’inquiétude…l’étonnement… la terreur… l’incertitude… la curiosité… l’amusement… la prudence… la méfiance… l’espoir… et puis ce désir irrépressible de comprendre ! Bientôt, dans quelques décennies nous y apercevront – il paraît – des édifices humains à la recherche de matières disparues de Terre, (carrières, mines, engins, vaisseaux cargo… ) aussi j’aime profiter de cette virginité et tenter de me replonger dans le souvenir des premiers âges, quand l’homme démarrait tout juste sa course au chaos de l’ordre naturel de l’univers en en cherchant le sens, et en dénommant les choses. Le début du drame en somme. Ciel du 8 août 2019.

Bruts d’été

Le sirocco des derniers jours a emporté avec lui le vert. Il reste les beiges, blonds, blancs, bruns dans un crépitement d’air embrasé. La terre me fait penser à une belle hippie ; d’elle n’émane que de confuses notes et mots que j’attrape ou non au vol, comme les papillons du printemps …

…Mama Lion et son fulgurant ain’t no sunshine , Janis Joplin au summertime cassé, Joan Baez en wild mountain thyme évanouie… et le lapin blanc de Jefferson Air plane. Quelques accords des Pink Floyd passent comme des flocons incandescents dans le vent brûlant de juillet… sous ce soleil de René Char si puissant qu’il faut s’en cacher… ‘la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil’. Mais toujours deux mots, antagonistes, complémentaires, indissociables ‘l’ombre et la lumière’-mon père et ma mère disparus-, yin et yang au centre de mes regards…

J’attends l’automne.

Sur mon chemin, pré en été 7-07-2019.

Blonds

Depuis toujours pour moi l’été est blond ; un jour d’août – c’était dans ma onzième année-, mon père m’avait prise en photo dans les graminées près de la maison. Je n’aimais guère qu’il me prenne en photo, et pour m’adoucir, ma mère m’avait expliqué que c’était important comme prises de vue à cause des blonds qui se faisaient écho. Mon père était photographe. Il a travaillé sur la lumière avant qu’elle ne disparaisse de sa vie en 1992 à Vaison, emportant son œuvre. À cette époque, (1976, celle de la photographie) les photographes utilisaient des pellicules (lui, c’était Kodak, il n’aimait pas les Fuji qui dénaturaient les rouges ) et conservaient leurs photos sur des diapositives. On les visionnaient sur des écrans à l’aide d’un projecteur. Pour ça on s’installait dans le noir, un peu comme dans une salle de cinéma, en un rituel parfois pesant pour la petite fille que j’étais alors. J’ai pu récupérer quelques boîtes de diapositives qui ont subsisté. Je les ai numérisé pour les conserver à l’abri du temps.

Cette année encore, comme tous les ans, je regarde les champs mûrir et les blonds envahir les paysages en entendant la voix de mes parents me parler de la couleur de l’été. Non, pas un été ne se passe sans que je revive ces heures et sans que le blond des champs ne m’emporte.

Parce que l’été est blond, oui, comme l’enfance…

Photos argentiques CMD 1-1976, 2-1977, à Flagy // Dans les collines, champs de graminées et plumets (stipa pennata) à Carroufra, le 21-06-19

Rêverie d’une promenade

Viens avec moi, toi qui passe, je t’invite à une rêverie dans un sous-bois plein d’étoiles… Hâtons-nous si tu veux, le soir n’est pas loin de tomber, et le plus silencieusement possible, écoutons le seul dialogue du vent dans les arbres qui emplit l’air…

Un tilleul des bois marque l’entrée du sentier; ses fleurs juste écloses embaument sous la coupole de son feuillage fourni… Le sentier grimpe un peu sous de hauts pins jusqu’à une clairière récente où les fleurs poussent à nouveau, limitée au bout par un jeune chêne blanc. Sa ramure chevelue donne la direction à suivre. Suivons-la. Mais d’abord allons voir ces taches dorées.

La clairière aux fleurs illumine le regard, ce sont des étoiles d’or en chapelet (des inules) et en m’approchant pour les photographier j’en aperçois d’autres , petites, discrètes et vertes, en constellations. Des sainfoins disséminés s’aperçoivent encore dans le crépuscule naissant.

En s’enfonçant sous la touffeur des arbres, le sentier s’amincit. Les pluies récentes ont rendu un regain de sève aux plantes, il se perçoit au vert plus tendre qui émaille le vert dense et sombre. Les fleurs de chèvrefeuille éparses, étoilent les taillis de branches et de buis morts. Elles n’ont pas de parfum ou alors si léger que le vent l’emporte aussitôt. Je me demande où ?

La saison des fleurs les plus printannières se termine, et tout se prépare à la grande estivation provençale. Elles se transforment alors en étoiles dures et brillantes, piquantes même coupantes quand la peau des jambes les frôlent, et elles se laissent égrainer au gré des vents d’été.

On pourrait croire que le vent du Nord qui forcit empêcherait la nuit de tomber en la balayant au loin .. pourtant les pétales blancs se bleutent, les gris envahissent l’air et les noirs s’agrandissent comme des taches d’encre sur du papier buvard.

Viens, il est temps, rentrons.

// Forêt de Venasque, 14-06-19.

Arcane

… /… Et moi alors Qu’est-ce que je cherche Quel pouvoir à dérober au destin Quel bouleversement qui fasse De la montagne et du labyrinthe De la source et du gouffre Un éblouissement si physique et si pur Une noce où embraser encore Les paradis vécus …/…

André Velter – Arcane -extrait- , L’amour extrême // Sous-bois , Baronnies, 9-06-19

Sensation

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :

Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,

Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.

Rimbaud, Sensation // Sur mon chemin, au-dessus d’un champ de blé sans pesticides, les hirondelles. 8-05-19

Voyage en orchidée, suite

Suite de ma poursuite des orchidées : aujourd’hui le massif du Lubéron, du moins un petit morceau, au -dessus de Céreste. Toute la journée s’est passée dans les nuages et les averses paisibles. Tant mieux pour les sols et tous les végétaux en plein boum, et tant mieux pour moi, les chemins, routes et paysages sont vides, si ce n’est comme toujours ici, des Allemands en balade dans leurs voitures très chères et des gars du coin en 4×4, très très affairés à dieu sait quoi.

La belle orchis pourpre est partout…. abondante et joyeuse au milieu de l’orgie de fleurs…

Et puis, dans un endroit où je trouve, printemps après printemps des espèces plutôt magnifiques et rares, je tombe sur cette ophrys mouche (ophrys insectifera) jamais rencontrée par ailleurs … quelle émotion !

Et, en une abondance paradisiaque, la sublime cephalanthère à longues feuilles (Cephalanthera longifolia) illumine les sous-bois ennuagés et vernis d’eau par ses fleurs blanc pur, dressées…

Pour finir la balade lubéronne dans un sous-bois étoilé d’or, semblable à une nuit d’été…

Voyage en orchidée

Depuis le mois de janvier, dans le périmètre de ma vie, au hasard des chemins où je passe, j’ai pris en photo ces fleurs mythiques, les orchidées sauvages. Longtemps le privilège de ma mère qui les cherchaient par jeu, dans le moindre de leurs retranchements, c’est récemment que je me suis mise, à pas comptés, dans ses traces, pour explorer ce monde fascinant. Printemps après printemps (3 exactement) je découvre, nomme et admire ses étranges compagnes de nos vies aux formes admirables, comme intelligentes.

Orchis géant – barlia robertiana- dès le mois de janvier la première à fleurir, immense et invasive…

« [Odette] tenait à la main un bouquet de catleyas et Swann vit, sous sa fanchon de dentelle, qu’elle avait dans les cheveux des fleurs de cette même orchidée attachées à une aigrette en plumes de cygne. » M.Proust, Du côté de chez Swann.

L’ophrys bécasse – ophrys scolopax -, 18 mai

L’ophrys araignée – ophrys sphegodes-, mars

L’ophrys brun – ophrys fusca-, mars

On estime à 25 000 environ le nombre d’espèce d’orchidées dans le monde, entre 350 et 400 en Europe, 170 en France et 64 dans la zone du Ventoux. Le nom d’orchidée vient du grec Orkis = testicule, en allusion à la forme de tubercule des racines de ces plantes. La connaissance des orchidées s’est développée par tradition orale, dans le cadre de croyances populaires plus ou moins mystérieuses, basées sur certaines pratiques païennes ou médicinales voire culinaires. C’est à la forme de ses tubercules que nous devons des vertus aphrodisiaques à certaines préparations, altérant ou vivifiant la virilité masculine. Cette croyance est encore très vivace en Tunisie. Au Moyen-Orient, le salep, préparation d’un liquide à base de tubercules séchées et pilées est consommé avec délectation, mettant en danger par l’arrachage de plusieurs dizaines de tonnes de tubercules, la conservation des orchidées dans ces régions. Du XVIIe au XIXe s. l’orchidée exotique devient un objet de collection, -non plus pour ses tubercules mâles mais pour sa fleur femme-, un objet de luxe, convoitise des grandes bourgeoisies anglaise et parisienne (cf. le catleya de Proust), ayant pour conséquence le pillage de certaines zones de forêts équatoriales. Depuis plus de 50 ans, les orchidées européennes sortent de l’ombre.

Orchis pyramidal – anacamptis pyramidalis- « commune », mai

l’orchis pourpre – orchis purpurea- « commune » , mai

La menace qui pèse sur les orchidées est directement lié à la disparition de leurs milieux : zones humides, pâtures, landes calcaires, fûtaies mais aussi à l’utilisation des pesticides qui éradiquent les pollinisateurs… bref, un peu à tout ce qui est en cours actuellement chez l’humain : bétonnisation et chimie.

une sous-espèce de l’ophrys araignée – ophrys sphegodes- mars

orchis militaire -orchis militaris- mai

platanthère à deux feuilles – platanthère bifolia- mai

Dactylorhiza (angustata ?) – mai – rare, en danger
Orchis pâle – orchis pallens – mai – très rare et menacée

Je n’aborderai pas la sexualité des orchidées, qui est multiple en fonction des espèces ! Je vais me contenter de continuer d’aller à leur rencontre, au hasard de mes chemins et m’ébahir de leur beauté. Demain, j’ai prévu une sortie vers elles. J’espère qu’elles seront au rendez-vous cette année encore.