Catégorie : Hiver
Janviers croisés
On dit qu’en Bretagne il pleut quatre jours sur trois, ce qui ne laisse guère de temps pour autre chose. Eh bien, c’est peut-être ma chance, mais nous sommes en plein mois de janvier, et le ciel est prodigieusement bleu. Le ciel est bleu, mon manteau est bleu, ma chemise est bleue, mon blue-jean franciscain est bleu, et une flamme bleue, elle aussi, éclaire vivement mon cerveau d’idiot.Je suis un diable bleu et le soleil est perché sur mon épaule, riant comme l’enfer. À voyager ainsi, où est-ce que je vais ? Nulle part. Je traverse bien des lieux de l’esprit, péniblement quelquefois, pour n’aller nulle part. Nulle part c’est difficile, mais j’y arriverai un jour. nulle part, c’est partout, c’est parmoi. Et moi, qui suis-je ? Un signe de l’infini; quelque chose comme un zéro.
Kenneth White – Dérives // Plage Napoléon, bécasseaux sanderling 12 janvier 2010.
Dors bien…
haie d’illusion
Le père de la mariée avait fait acheter pour sa fille ses présents de mariage : un collier de pierre variées, une robe toute de pourpre mais , à l’endroit où, sur les autres robes était placée la pourpre, il y avait de l’or. Les pierres rivalisaient entre elles. L’hyacinthe était une rose en pierre, l’améthyste jetait ses sombres feux tout près de l’or. Au milieu se trouvait trois pierres dont les couleurs se fondaient les unes aux autres ; ces trois pierres avaient été serties pour n’en former qu’une ; la base de la pierre était noire : au milieu le blanc s’unissait au noir ; après la pierre blanche, la dernière, qui formait la cime, était rouge. Cette pierre cerclée d’or, faisait comme un œil d’or.
Le roman de Leucippé et Clitophon – Achille Tatius // Haie de clématites, sur mon chemin, 12-18
L’arbre seul
Depuis l’enfance, je n’ai pas été Comme les autres ; je n’ai pas vu Comme les autres; je n’ai su puiser À la source commune mes passions. Je n’ai pas pris à cette même source Ma douleur ; je n’ai pas su éveiller Mon cœur à la joie sur le même ton ; Et tout ce que j’aimais, je l’aimais seul. Alors — dans mon enfance— à l’aube D’une vie orageuse, le mystère Qui encore me tient, surgit De chaque abîme du bien et du mal : Du torrent ou de la fontaine, De la falaise rouge sur le mont, Du soleil qui tournait autour de moi Dans sa teinte d’or automnale — De l’éclair dans le ciel Qui passait auprès de moi en volant — Du tonnerre et de la tempête, Et du nuage qui prenait la forme (Lorsque le reste du ciel était bleu) D’un démon à ma vue.
Dors bien
Bel An neuf
Il existe toute une tradition dans le Nord de l’Europe qui consiste pour les amoureux à échanger un baiser sous une boule de gui suspendue au plafond. Cela représenterait un gage de bonheur et de longue vie. En France on pratique cette coutume le jour de l’An : ‘Au gui l’an neuf!’ est la déformation heureuse d’une expression celte (bretonne en l’occurrence, car rapportée par Pline l’ancien au 1er s. ap.JC à propos des druides de Bretagne et de leurs coutumes) : o ghel an heu ‘Que le blé germe !’ qu’on déclarait pour se souhaiter la bonne année. Cette tradition remonterait à la fête des Saturnales romaines et s’est perpétuée par la suite sous la forme du houx à Noël, les épines rappelant la couronne du Christ et les baies rouges son sang. Patrick Guelpa – 100 légendes de la mythologie nordique.
En botanique le gui – viscum album -, gui blanc ou encore bois de sainte-croix est une plante saprophyte, c’est à dire semi parasite puisqu’il absorbe par ses pieds-suçoirs l’eau et les sels minéraux, la sève de son arbre-hôte. Une dizaine de ses baies blanches ingérées provoquent des troubles digestifs et cardiovasculaires mortels. Les parties vertes sont elles, inoffensives et diurétiques. Selon la légende, il passe pour un végétal du royaume intermédiaire, ni arbre, ni arbuste qui ne pousse qu’aux endroits où la foudre a frappé. Toujours vert, il était symbole d’immortalité, voire de jouvence, le jus épais des baies étant considéré comme le sperme de l’arbre ; le rituel entourant sa cueillette au sixième jour de la nouvelle année celtique par les druides qui le cueillaient à l’aide d’une faucille d’or et le recueillaient dans une pièce de tissu blanc- le destinait aux dieux en même temps qu’on sacrifiait un taureau pour parfaire l’offrande.
Gui dans la forêt du Ventouret, 1 janvier 2019
Pêle-mêle bleu
photos prises entre le 26-12 et le 1-01-19 à Avignon, monts de Vaucluse, Pont St Esprit, Glanum et Ventouret.
À un ami
…/ Je pris dans chaque main — et non sous mon bras — une main du couple et le remorquai jusqu’à la sortie du jardin sur le chemin de Flachsenfingen ! Je me forçais souvent tandis que je marchais entre eux à tourner la tête comme si j’entendais quelqu’un nous suivre; mais en réalité je voulais encore une fois (encore qu’avec mélancolie) regarder en arrière vers l’heureux petit village qui ne se composait que de demeures d’une tranquille et satisfaite joie de sabbat et qui est suffisamment heureux (quoique sur ses pavés espacés passent seulement toutes les semaines un barbier, tous les jours de fête un coiffeur et tous les ans un crieur de parasols). Ensuite il me fallut de nouveaux tourner la tête et regarder les deux heureux avec des yeux qui se remplirent bientôt de larmes…/…
Finalement nous arrivâmes à la colline -frontière au-delà de laquelle on ne pouvait laisser aller Thiennette et il me fallut alors me séparer de mon compère avec lequel j’avais causé si joyeusement tous les matins, — chacun de nous du fond de son lit— et quitter le cercle tranquille de nos modestes espoirs pour reculer dans le cercle bouillonnant et aboyant où on arrache au destin, à force de menaces et d’exigences, un bout de réglisse de la grosseur d’un bras — telle la réglisse botanique qui pousse le long de la Volga — moins pour en mâcher les douces tiges elles-mêmes que pour en assommer les autres. Lorsque je pensais que j’allais leur dire adieu, toutes les souffrances futures, tous les cadavres et tous les désirs de cet attelage aimé se présentaient à mon cœur et je songeais que rien ne jalonnait le jour de leur vie (comme le mien et celui de chacun) que des fleurs de joie endormies. — Et pourtant il est beau qu’ils comptent leurs années, non d’après la clepsydre de larmes qui tombent mais d’après l’horloge florale (Linné installa à Upsala une horloge florale dont les fleurs indiquaient l’heure d’après les différents moments où elles s’endormaient. ndlr) où s’endorment les fleurs dont les calices se ferment d’heure en heure, hélas ! devant nous, pauvres hommes. Je voudrais maintenant — parce que je me souviens encore de la manière dont je me penchai au-dessus de ces deux êtres chers comme au-dessus de deux cadavres avec des yeux ruisselants — m’adresser la parole à moi-même et me dire : beaucoup trop tendre Jean-Paul, toi dont la craie reproduit toujours sur le crêpe de la mélancolie les modèles de la nature, endurcis ton cœur comme ton corps pour ne pas t’user ni en user d’autres par le frottement. Mais pourquoi dois-je le faire, pourquoi ne pas confesser sans ambages ce que je dis dans l’attendrissement le plus ému à ces deux êtres ? ‘ Que tout aille bien pour vous, doux amis — dis-je, car il n’était plus question pour moi de politesse — que la providence porte dans ses bras berceurs vos cœurs déchirés — que le Dieu bon qui règne par-delà ces soleils qui maintenant abaissent sur nous leurs regards vous laisse toujours unis et vous élève vers son cœur et sa bouche sans vous séparer’. Nous tombâmes tous dans un attendrissement exagéré. Nous nous arrachâmes enfin à des étreintes répétées et mon ami disparut avec l’âme aimée — je restai tout seul dans la nuit. Alors je marchai sans but, franchissant des forêts, des vallées et des ruisseaux, traversant des villages endormis pour jouir de la grande nuit comme d’une belle journée.
Jean-Paul (1763-1825) – Vie de Fixlein // Caspar Friedrich – Le soir // Sur mon chemin ce soir, 28-12-18
Entre statues
Je dormais d’un profond et paisible sommeil Quand Phyllis, en dormant, m’apparut toute nue, Comparable en son teint délicat et vermeil A celle qui du jour annonce la venue Jamais plaisir au mien ne peut être pareil Et jamais passion ne fut mieux reconnue, Puisque je l’embrassais et que, sans mon réveil, J’étais prêt à forcer toute sa retenue. Ici je vous appelle à mon soulagement, Astres qui présidez au bonheur d’un amant, Et je t’invoque encor, doux père du mensonge. Faites, si vous pouvez me donner du secours, Que je voie en effet ce que je vis en songe, Ou faites pour le moins que je dorme toujours.
Urbain Chevreau (1613-1701) – Poésies, 1656 // galerie des statues – musée Calvet Avignon – 26-12-18