Le Décaméron, Pasolini et moi

J’ai peint cette grande toile (120 x 80cm) après avoir regardé le film de Pasolini ; aujourd’hui elle se trouve chez mon fils qui l’a prise pour lui. Ma fille m’avait offert le livre de Boccace et quand j’y pense, je reste fascinée par le film qu’a su en tirer Pasolini, ce chef-d’œuvre esthétique absolu qui siège en belle place dans mon panthéon personnel. Un des grands amis de ma vie, aujourd’hui disparu, s’était écrié lorsque je lui dévoilais la toile que je venais d’achever :  » Oh ! elle en a des choses à dire elle… »

Oui, d’autant que nous sommes trois à l’avoir mise au monde…: Boccace, Pasolini et moi.

1350 environ. Imaginez une épidémie de peste noire dévorant l’Europe, imaginez un tiers de la population européenne disparue en cinq ans (1348-1353)… non en fait c’est inimaginable… En Italie, un homme de trente-cinq ans, se met à écrire un récit en prose. ‘Le Livre des dix journée’ s’ouvrant sur…’ le tableau apocalyptique de la peste, à la force grandiose et terrible, n’ayant rien à envier à la description de la peste d’Athènes chez Thucydide. Là, sept jeunes filles courtoises et trois jeunes hommes ayant conservé leur noblesse d’âme se retirent sur les pentes enchanteresses de Fiesole pour fuir la contagion de Florence, devenue une immense sépulture, et pendant deux semaines se réunissent à l’ombre des bosquets et se distraient chaque jour par le récit de dix nouvelles, une pour chacun, tantôt sur un sujet libre, tantôt sur un sujet fixé à l’avance pour tous, par la reine ou le roi de la journée...’ P.Laurens. – Voilà donc notre Boccace qui va écrire en un espace-temps (Fiesole – deux semaines- dix personnes) parfaitement circonscrit hors des griffes de la peste, des heures de liesse, d’amour, de sentiments et de pensée profonde pour subjuguer la mort absolue de la pandémie. Quelle saine et farouche réaction, comme un réflexe vital, pour ne pas « crever » tout à fait dans l’hécatombe en cours en y laissant sa raison, que de créer cet univers. Un univers où la vie ne craint rien. Et au fond que fait un créateur sinon s’enfermer dans un espace-temps qui lui est propre pour ne pas mourir d’effroi ?

Blonds

Depuis toujours pour moi l’été est blond ; un jour d’août – c’était dans ma onzième année-, mon père m’avait prise en photo dans les graminées près de la maison. Je n’aimais guère qu’il me prenne en photo, et pour m’adoucir, ma mère m’avait expliqué que c’était important comme prises de vue à cause des blonds qui se faisaient écho. Mon père était photographe. Il a travaillé sur la lumière avant qu’elle ne disparaisse de sa vie en 1992 à Vaison, emportant son œuvre. À cette époque, (1976, celle de la photographie) les photographes utilisaient des pellicules (lui, c’était Kodak, il n’aimait pas les Fuji qui dénaturaient les rouges ) et conservaient leurs photos sur des diapositives. On les visionnaient sur des écrans à l’aide d’un projecteur. Pour ça on s’installait dans le noir, un peu comme dans une salle de cinéma, en un rituel parfois pesant pour la petite fille que j’étais alors. J’ai pu récupérer quelques boîtes de diapositives qui ont subsisté. Je les ai numérisé pour les conserver à l’abri du temps.

Cette année encore, comme tous les ans, je regarde les champs mûrir et les blonds envahir les paysages en entendant la voix de mes parents me parler de la couleur de l’été. Non, pas un été ne se passe sans que je revive ces heures et sans que le blond des champs ne m’emporte.

Parce que l’été est blond, oui, comme l’enfance…

Photos argentiques CMD 1-1976, 2-1977, à Flagy // Dans les collines, champs de graminées et plumets (stipa pennata) à Carroufra, le 21-06-19

Rêverie d’une promenade

Viens avec moi, toi qui passe, je t’invite à une rêverie dans un sous-bois plein d’étoiles… Hâtons-nous si tu veux, le soir n’est pas loin de tomber, et le plus silencieusement possible, écoutons le seul dialogue du vent dans les arbres qui emplit l’air…

Un tilleul des bois marque l’entrée du sentier; ses fleurs juste écloses embaument sous la coupole de son feuillage fourni… Le sentier grimpe un peu sous de hauts pins jusqu’à une clairière récente où les fleurs poussent à nouveau, limitée au bout par un jeune chêne blanc. Sa ramure chevelue donne la direction à suivre. Suivons-la. Mais d’abord allons voir ces taches dorées.

La clairière aux fleurs illumine le regard, ce sont des étoiles d’or en chapelet (des inules) et en m’approchant pour les photographier j’en aperçois d’autres , petites, discrètes et vertes, en constellations. Des sainfoins disséminés s’aperçoivent encore dans le crépuscule naissant.

En s’enfonçant sous la touffeur des arbres, le sentier s’amincit. Les pluies récentes ont rendu un regain de sève aux plantes, il se perçoit au vert plus tendre qui émaille le vert dense et sombre. Les fleurs de chèvrefeuille éparses, étoilent les taillis de branches et de buis morts. Elles n’ont pas de parfum ou alors si léger que le vent l’emporte aussitôt. Je me demande où ?

La saison des fleurs les plus printannières se termine, et tout se prépare à la grande estivation provençale. Elles se transforment alors en étoiles dures et brillantes, piquantes même coupantes quand la peau des jambes les frôlent, et elles se laissent égrainer au gré des vents d’été.

On pourrait croire que le vent du Nord qui forcit empêcherait la nuit de tomber en la balayant au loin .. pourtant les pétales blancs se bleutent, les gris envahissent l’air et les noirs s’agrandissent comme des taches d’encre sur du papier buvard.

Viens, il est temps, rentrons.

// Forêt de Venasque, 14-06-19.

Arcane

… /… Et moi alors Qu’est-ce que je cherche Quel pouvoir à dérober au destin Quel bouleversement qui fasse De la montagne et du labyrinthe De la source et du gouffre Un éblouissement si physique et si pur Une noce où embraser encore Les paradis vécus …/…

André Velter – Arcane -extrait- , L’amour extrême // Sous-bois , Baronnies, 9-06-19