Histoire de petite fille

Mathilde et le chapeau.

Mathilde a un an et quelques jours. Cet après-midi d’été là alors qu’on est tous au jardin, elle découvre l’art de mettre et de porter un chapeau…

« Tiens, mais c’est le bracelet de maman qui est dans l’herbe… je vais aller lui rapporter…

Ah… mais c’est le chapeau que maman m’a acheté à cause du soleil, je vais le ramasser…

C’est rigolo cette ficelle élastique qui fait comme une petite balançoire…

Je vais essayer de me rappeler comment il faut l’installer …

Voilà ! je l’ai posé et je crois que ça ne va pas glisser…

Il fait chaud et j’ai bien envie de boire un petit biberon d’eau fraîche , je sais mettre mon chapeau toute seule maintenant !

Dessins croqués de Mathilde en 1993, mis en couleurs à l’acrylique… en 2020 🙂 Pour Agathe.

À la poursuite de l’apollon

Il y a parfois dans la vie, des fils qui nous lient à un désir inassouvi. Les bobines se déroulent au fur et à mesure du temps qui passe sans pour autant interrompre un instant l’élan premier de cette recherche, que la mémoire transmuée en volonté par le nombre des années, cherche à accomplir. Jeune fille, mes parents à leurs heures naturalistes, avaient créé pour moi, mes frères, nos amis, tout un univers composé de bestiaires merveilleux à découvrir, de flores à inventorier. Autant de destinations bien réelles que nous parcourions munis de cartes pointées car nos passages en chacun de ces lieux sauvages comportaient tous une liste de trésors à ‘trouver’. Là, un oiseau rare, ici une fleur unique, là-bas un papillon endémique… Chaque séjour était un sujet de conversation lié à nos découvertes. Nous vivions dans un monde émerveillant, dont la beauté naturelle jointe à la pureté sauvage, celle d’une absence totale d’humanité récente, comblait à lui seul notre ‘être social’. Nos plus beaux films étaient les ciels, notre plus belle éducation civique et morale, celle du respect absolu pour toutes ces vies animales et végétales qui se déroulaient tous les jours sous nos yeux remplis et que nous observions en retenant nos souffles et nos gestes, pour ne pas effrayer ce Vivant si petit qui s’écrase sous le pas et s’arrache entre notre mains si l’on n’y prend garde. Les rudiments du monde.

Les années ont passé. J’ai repris aujourd’hui en d’autres lieux ces courses fabuleuses avec mon compagnon, ou seule et avec mes fantômes, impatiente de découvrir l’être animal, végétal, l’objet minéral qui illuminera ma course. Il y a quelques jours, tandis que nous avions arpenté les flancs en pierrier de la montagne de Lure et que nous nous dirigions vers une prairie en pente, nous reçûmes l’amicale visite d’un de ces trésors qui hante ma mémoire car je ne l’ai jamais ‘trouvé’ à l’époque de ma jeunesse : l’apollon. Ce grand papillon, rare, surgi du fond des profondeurs de ma vie et sur le compte duquel j’avais fini par me résigner, l’apollon introuvable. Et là le voilà qui frôlait de ses grandes ailes bruyantes comme un papier de soie froissant l’air immobile, le sommet de nos deux têtes avant de continuer en folâtrant, joyeux d’être, insouciant de vivre, parmi les graminées et les fleurs d’été. J’ai aussitôt saisi mon appareil photo pour tenter d’immortaliser notre rencontre… mais ce bel apollon ne s’est pas laissé faire, continuant de voleter, bienheureux, pour disparaître entre les grands pins. Quelle terrible déception ! ‘Qu’à cela ne tienne, nous reviendrons vite’, m’annonça Christophe, qui voyait ma déconvenue.

Et nous sommes revenus. Vingt-et-un jours après, secrètement résolus à retrouver l’apollon sans se laisser prendre par son manège gracieux. En approchant du secteur où nous l’avions observé, mais par un autre chemin, j’entendis tout à coup Christophe me dire: ‘Regarde, il est là ! ‘ et presque instantanément, un bel apollon vint tranquillement frôler nos têtes puis, il continua sa route, indolent… Je le suivais malgré les dangers du terrain, tout en shootant l’être pâle qui ne cessait son vol imperturbable. Déception des déceptions quand il disparut sous la hêtraie et que ma poursuite s’avéra vaine. Reviendrons-nous ? Si oui, arriverons-nous à le surprendre en train de s’enivrer de nectar au point de se laisser photographier ? J’ai jusqu’au mois de septembre selon les biologistes et autres entomologistes, pour continuer de le voir, sinon ce sera pour l’été 2021 et là…

Apollon, parnassius apollo, rare, bel être en voie de disparition, protégé… ‘Zeus était plein d’ardeur et il eut des rapports amoureux avec de nombreuses nymphes descendant des Titans ou des dieux et, après la création de l’homme, avec des mortelles ; pas moins de quatre grandes divinités de l’Olympe furent enceintes de ses œuvres hors du mariage. D’abord il eut Hermès par Maia, la fille d’Atlas, qui le mit au monde dans une caverne sur le mont Cyllène, en Arcadie. puis il eut Apollon et Artémis par Léto, la fille des Titans Cœos (‘intelligence’) et Phœbé (‘lune’), après qu’il l’eut changé en caille comme il l’était devenu lui-même au moment de s’unir à elle ; mais Héra, jalouse envoya le serpent Python à la poursuite de Léto à travers le monde entier et elle décréta que Léto ne serait délivrée en aucun lieu éclairé par le soleil. Sur les ailes du Vent du Sud, Léto arriva enfin à Ortygie, où elle mit au monde Artémis, qui aussitôt née aida sa mère à se rendre entre un olivier et un dattier qui poussaient sur la face nord du mont Cynthe à Délos, où là elle la délivra d’Apollon après qu’elle eut subi les douleurs pendant neuf jours. Délos qui était jusqu’alors une île flottante, fut fixée définitivement dans la mer et, par décret, personne n’est plus autorisé à y naître ni à y mourir ; les malades et les femmes enceintes sont transportés en bac jusqu’à Ortygie.’

Mais Apollon était aussi le fantôme du roi sacré qui avait mangé la pomme. Le mot Apollon provient peut-être de la racine ‘abol’ ‘pomme’, plutôt que d’apollunai, ‘détruire’, qui en est l’étymologie courante.

‘Ainsi, quand la terre couverte de l’épais limon que laissa le déluge eut été profondément pénétrée par les feux du Soleil, elle produisit d’innombrables espèces d’animaux, les uns reparaissant sous leurs antiques traits, les autres avec des formes inconnues jusqu’alors. Ainsi, mais comme en dépit d’elle-même, elle t’engendra, monstrueux Python, serpent nouveau, effroi des hommes qui venaient de naître, et qui de ta masse énorme couvrais les vastes flancs d’une montagne. Le fils de Latone, qui n’avait encore poursuivi que les daims et les chevreuils aux pieds légers, épuisa son carquois sur le monstre, qui vomit par ses blessures livides son sang et son venin; et pour conserver à la postérité le souvenir et l’éclat de ce triomphe, Apollon institua des jeux solennels qui furent appelés Pythiens. Fille du fleuve Pénée, Daphné fut le premier objet de la tendresse d’Apollon. Cette passion ne fut point l’ouvrage de l’aveugle hasard mais la vengeance cruelle de l’Amour irrité. Le dieu de Délos, fier de sa nouvelle victoire sur le serpent Python, avait vu le fils de Vénus qui tendait avec effort la corde de son arc : Faible enfant, lui dit-il, que prétends-tu faire de ces armes trop fortes pour ton bras efféminé ? Elles ne conviennent qu’à moi, qui puis porter des coups certains aux monstres des forêts, faire couler le sang de mes ennemis, et qui naguère ai percé d’innombrables traits l’horrible Python qui, de sa masse venimeuse, couvrait tant d’arpents de terre. Contente-toi d’allumer avec ton flambeau je ne sais quelles flammes et ne compare jamais tes triomphes aux miens.

L’Amour lui répond :

Sans doute, Apollon, ton arc peut tout blesser; mais c’est le mien qui te blessera et autant tu l’emportes sur tous les animaux, autant ma gloire est au-dessus de la tienne.

Il dit, et frappant les airs de son aile rapide, il s’élève et s’arrête au sommet ombragé du Parnasse : il tire de son carquois deux flèches dont les effets sont contraires; l’une fait aimer, l’autre fait haïr. Le trait qui excite l’amour est doré, la pointe en est aiguë et brillante; le trait qui repousse l’amour n’est armé que de plomb et sa pointe est émoussée. C’est de ce dernier trait que le dieu atteint la fille de Pénée ; c’est de l’autre qu’il blesse le cœur d’Apollon. Soudain Apollon aime, soudain Daphné fuit l’amour : elle s’enfonce dans les forêts où, à l’exemple de Diane, elle aime poursuivre les animaux et se parer de leurs dépouilles : un simple bandeau rassemble négligemment ses cheveux épars.

Cependant Apollon aime : il a vu Daphné; il veut s’unir à elle : il espère ce qu’il désire; mais il a beau connaître l’avenir, cette science le trompe et son espérance est vaine. Comme on voit s’embraser le chaume léger après la moisson, comme la flamme consume les haies, lorsque pendant la nuit le voyageur imprudent en approche son flambeau ou lorsqu’il l’y jette au retour de l’aurore, ainsi s’embrase et brûle le cœur d’Apollon et l’espérance nourrit un amour que le succès ne doit point couronner.’

Robert Graves, Les mythes grecs – la naissance d’Apollon ; Ovide, Les Métamorphoses ; Sur la montagne de Lure, 5 et 26 juillet 2020.

Au bois…

Comment dire que c’est, sur Terre, l’endroit que je préfère… sous-bois. Arpenter sans cesse les pistes, les chemins, les sentiers, le sol, découvrir les habitants passagers et ceux, sédentaires, qui siègent et triomphent par l’ampleur de leur taille et la puissance de leur présence.

C’est un monde fermé mais sans mur, un monde à part sans frontière sinon l’ombre qui nimbe comme une eau et qui signale la limite à franchir.

Sous-bois, clos d’ombre, à la source de la lumière.

Les rencontres y sont toutes émouvantes; la frontière de nos perceptions est l’ultime limite, la source de l’imagination.

La source de notre histoire. Le creuset de l’âme humaine. … »Au bois de mon cœur, il y a des petites fleurs, des petites fleurs, il y a des copains, au bois de mon cœur… »

Montagne de Bergiès , dimanche 21 juin 2020. Georges Brassens, Au bois de mon cœur.

Shamash

‘… Il voit devant lui un jardin merveilleux dont les arbres portent des pierres précieuses au lieu de fruits il voit les rubis, les cornalines, les lapis-lazuli qui pendent en grappes leur vue est agréable et réjouit le cœur, il voit aussi l’épine et la ronce qui portent des pierres précieuses et des perles de mer.

Le dieu Shamash apparaît à Gilgamesh et lui dit :


« Où vas-tu Gilgamesh ? la vie que tu cherches tu ne la trouveras pas. »

Gilgamesh dit au grand dieu Shamash : « Lorsque je serai mort la défaite n’envahira-t-elle pas mes entrailles ? Me voici, par peur de la mort errant dans le désert moi-même ne vais-je pas me coucher pour ne plus jamais me lever ? Ô laisse mes yeux contempler le soleil ainsi je serai inondé de lumière. L’obscurité se retire lorsque la lumière éclate ô que celui qui est mort puisse voir l’éclat du soleil ! »

L’épopée de Gilgamesh, Shamash Le dieu-soleil, traduit et adapté par Abed Azrié // Sur la montagne d’Albion, 18-08-19.

E la nave va

-Psst ! fines-pattes, je ne m’attendais pas à te trouver là !

-C’est toi fine-taille ! Je cherche un peu de jus de mûre mais sans succès et je meurs de soif… Et toi ?

-Moi aussi j’ai très soif fines-pattes, la chaleur est insupportable même à l’ombre et ça brûle sous le pas… Si tu cherches à boire par-ici tu es mal parti ! Tout est sec … manque de pluie, trop de vent brûlant… tous les fruits habituellement juteux restent verts et se dessèchent sur place. C’est une année difficile nous manquons de nutriments et les œufs seront moins nombreux. Si rien n’est fait notre colonie va s’effondrer.

-Tu es sérieuse fine-taille ?

-Oui, j’ai entendu dire que nous disparaissions…

-Il faut fuir , se répandre, quitter cet endroit tout de suite !

-Si on nous laisse le temps ! On va tenter de se déplacer vers les sommets… moins de nourriture mais aussi moins d’hommes et plus de fraîcheur.

-Viens me chercher quand tu partiras fine-taille, nous cheminerons ensemble…

-Je n’y manquerais pas fines-pattes, adieu!

Bruts d’été

Le sirocco des derniers jours a emporté avec lui le vert. Il reste les beiges, blonds, blancs, bruns dans un crépitement d’air embrasé. La terre me fait penser à une belle hippie ; d’elle n’émane que de confuses notes et mots que j’attrape ou non au vol, comme les papillons du printemps …

…Mama Lion et son fulgurant ain’t no sunshine , Janis Joplin au summertime cassé, Joan Baez en wild mountain thyme évanouie… et le lapin blanc de Jefferson Air plane. Quelques accords des Pink Floyd passent comme des flocons incandescents dans le vent brûlant de juillet… sous ce soleil de René Char si puissant qu’il faut s’en cacher… ‘la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil’. Mais toujours deux mots, antagonistes, complémentaires, indissociables ‘l’ombre et la lumière’-mon père et ma mère disparus-, yin et yang au centre de mes regards…

J’attends l’automne.

Sur mon chemin, pré en été 7-07-2019.

Blonds

Depuis toujours pour moi l’été est blond ; un jour d’août – c’était dans ma onzième année-, mon père m’avait prise en photo dans les graminées près de la maison. Je n’aimais guère qu’il me prenne en photo, et pour m’adoucir, ma mère m’avait expliqué que c’était important comme prises de vue à cause des blonds qui se faisaient écho. Mon père était photographe. Il a travaillé sur la lumière avant qu’elle ne disparaisse de sa vie en 1992 à Vaison, emportant son œuvre. À cette époque, (1976, celle de la photographie) les photographes utilisaient des pellicules (lui, c’était Kodak, il n’aimait pas les Fuji qui dénaturaient les rouges ) et conservaient leurs photos sur des diapositives. On les visionnaient sur des écrans à l’aide d’un projecteur. Pour ça on s’installait dans le noir, un peu comme dans une salle de cinéma, en un rituel parfois pesant pour la petite fille que j’étais alors. J’ai pu récupérer quelques boîtes de diapositives qui ont subsisté. Je les ai numérisé pour les conserver à l’abri du temps.

Cette année encore, comme tous les ans, je regarde les champs mûrir et les blonds envahir les paysages en entendant la voix de mes parents me parler de la couleur de l’été. Non, pas un été ne se passe sans que je revive ces heures et sans que le blond des champs ne m’emporte.

Parce que l’été est blond, oui, comme l’enfance…

Photos argentiques CMD 1-1976, 2-1977, à Flagy // Dans les collines, champs de graminées et plumets (stipa pennata) à Carroufra, le 21-06-19