Au bois…

Comment dire que c’est, sur Terre, l’endroit que je préfère… sous-bois. Arpenter sans cesse les pistes, les chemins, les sentiers, le sol, découvrir les habitants passagers et ceux, sédentaires, qui siègent et triomphent par l’ampleur de leur taille et la puissance de leur présence.

C’est un monde fermé mais sans mur, un monde à part sans frontière sinon l’ombre qui nimbe comme une eau et qui signale la limite à franchir.

Sous-bois, clos d’ombre, à la source de la lumière.

Les rencontres y sont toutes émouvantes; la frontière de nos perceptions est l’ultime limite, la source de l’imagination.

La source de notre histoire. Le creuset de l’âme humaine. … »Au bois de mon cœur, il y a des petites fleurs, des petites fleurs, il y a des copains, au bois de mon cœur… »

Montagne de Bergiès , dimanche 21 juin 2020. Georges Brassens, Au bois de mon cœur.

Le spectre

Soulève la paupière close Qu’effleure un songe virginal, Je suis le spectre d’une rose Que tu portais hier au bal.

Tu me pris encore emperlée Des pleurs d’argent de l’arrosoir, Et parmi la fête étoilée Tu me promenas tout le soir.

O toi, qui de ma mort fut cause, Sans que tu puisses le chasser, Toutes les nuits mon spectre rose À ton chevet viendra danser.

Mais ne crains rien, je ne réclame Ni messe ni De Profundis; ce léger parfum est mon âme Et j’arrive au Paradis.

Mon destin fut digne d’envie, Et pour avoir un sort si beau Plus d’un aurait donné sa vie, Car sur ton sein j’ai mon tombeau, Et sur l’albâtre où je repose Un poète avec un baiser Écrivit : Ci-gît une rose Que tous les rois vont jalouser.

Le spectre de la rose – Théophile Gauthier // des roses après la pluie de la nuit, chez moi, 9-05-19

Connexion

Il était trois petits enfants 
Qui s’en allaient glaner aux champs.

S’en vont au soir chez un boucher. 
« Boucher, voudrais-tu nous loger ? 
Entrez, entrez, petits enfants, 
Il y a de la place assurément.»

Ils n’étaient pas sitôt entrés, 
Que le boucher les a tués, 
Les a coupés en petits morceaux, 
Mis au saloir comme pourceaux.

Saint Nicolas au bout d’sept ans, 
Saint Nicolas vint dans ce champ. 
Il s’en alla chez le boucher : 
« Boucher, voudrais-tu me loger ? »

« Entrez, entrez, saint Nicolas, 
Il y a d’la place, il n’en manque pas. » 
Il n’était pas sitôt entré, 
Qu’il a demandé à souper.

« Voulez-vous un morceau d’jambon ? 
Je n’en veux pas, il n’est pas bon. 
Voulez vous un morceau de veau ? 
Je n’en veux pas, il n’est pas beau !

Du p’tit salé je veux avoir, 
Qu’il y a sept ans qu’est dans l’saloir.
Quand le boucher entendit cela, 
Hors de sa porte il s’enfuya.

« Boucher, boucher, ne t’enfuis pas, 
Repens-toi, Dieu te pardonnera. »
Saint Nicolas posa trois doigts.
Dessus le bord de ce saloir :

Le premier dit: « J’ai bien dormi ! » 
Le second dit: « Et moi aussi ! » 
Et le troisième répondit :
« Je croyais être en paradis ! »

Gérard de Nerval, La complainte de St Nicolas, 1842 // Camargue, 31-03-19