Cerisaie

Varia – Le soleil s’est déjà levé, il ne fait pas froid. Regardez, ma bonne maman, quels arbres merveilleux ! Mon dieu, l’air pur ! Les étourneaux qui chantent !

Gaev (il ouvre une autre fenêtre) – La cerisaie est toute blanche. Tu n’as pas oublié, Liouba ? Cette longue allée qui va tout droit, tout droit, comme une ceinture tendue, elle brille dans les nuits de lune. Tu te souviens ? Tu n’as pas oublié ?

Lioubov Andreevna (elle regarde la cerisaie par la fenêtre) – Ô mon enfance, ma pureté ! C’est dans cette chambre d’enfants que je dormais, c’est de là que je regardais la cerisaie, le bonheur s’éveillait avec moi, tous les matins, et elle était exactement comme aujourd’hui, rien n’a changé. (Elle rit de joie.) Blanche, toute blanche ! Ô ma cerisaie ! Après l’automne humide et sombre, après les neiges de l’hiver, tu es jeune à nouveau, tu es pleine de bonheur, les anges du ciel ne t’ont pas quittée… Si je pouvais ôter de ma poitrine et de mes épaules cette lourde pierre, si je pouvais oublier mon passé !

Gaev – Oui, et cette cerisaie, on la vendra pour dettes, aussi bizarre que cela puisse paraître…

Lioubov Andreevna – Regardez, notre pauvre maman qui marche dans la cerisaie… en robe blanche ! (Elle rit de joie.) C’est elle.

Gaev – Où ça ?

Varia – Dieu vous pardonne, ma bonne maman.

Lioubov Andreevna – Personne, une vision. A droite, en tournant vers la tonnelle, ce petit arbre blanc qui penche, il ressemble à une femme…

Anton Tchekov – La cerisaie. // Sur mon chemin confiné, 26 mars 2020.

Extrait…

« En fait, savez-vous pour qui il se prenait ? Non pas lorsqu’il se trouvait au bout de la passe d’un Bucky Robinson, une heure ou deux par semaine, mais le reste du temps ? Évidemment il ne pouvait le dire à personne : il avait vingt-six ans, il venait d’être père, les gens auraient ri de sa puérilité. Il en riait le premier. C’était un de ces souvenirs d’enfance qu’on garde en mémoire si vieux que l’on vive. Quand il se trouvait à Old Rimrock, il se prenait pour Johnny Appleseed. …/… Que Thomas Jefferson ait connu l’oncle de son grand-père ? Tant mieux pour Bill Orcutt. Mais moi, mon héros, c’est Johnny Appleseed. Il n’était pas juif, pas irlandais catholique, pas protestant. Non, c’était seulement un Américain heureux. Costaud, rougeaud, heureux. La cervelle grosse comme un petit pois, sans doute, mais pour ce qu’il avait à faire ! Lui, il lui fallait seulement une paire de guiboles solides. Tout dans la joie physique. Il avait une belle foulée, un sac de graines, un amour colossal et spontané du paysage et, partout où il allait, il semait les pépins à tout vent. Quelle histoire fabuleuse ! Il allait partout, il se promenait partout. Le Suédois adorait cette histoire depuis qu’il était tout petit. Qui l’avait écrite? Personne, pour autant qu’il se souvenait. Ils l’avaient apprise dans les petites classes. Ce sac de pépins, j’adorais ce sac de pépins. Quoique, c’était peut-être son chapeau. Il les mettait dans son chapeau les pépins ? Peu importe. « Qui est-ce qui lui avait dit de faire ça ? » demandait Merry lorsqu’elle fut assez grande pour qu’il lui raconte des histoires au lit, le soir, mais encore assez bébé pour brailler, lorsqu’il essayait de lui en raconter une autre, celle du train des pêches par exemple. « Johnny, je veux Johnny ! – Qui le lui a dit ? Personne mon poussin. C’est pas la peine de lui dire de planter des arbres à Johnny Appleseed. Il le fait tout seul. – Comment elle s’appelle sa femme ? Elle s’appelle Dawn, Dawn Appleseed. – Il a un enfant ? – Bien-sûr qu’il a un enfant, et tu sais comment il s’appelle ? – Comment ? – Merry Appleseed. – Et elle plante des pépins dans un chapeau ? – Bien-sûr mon cœur. Enfin, elle ne les plante pas dans le chapeau, poussin, elle les garde dans le chapeau, et puis elle les lance. Aussi loin qu’elle peut, elle les jette. Et partout où elle jette les pépins, partout où ils atterrissent, tu sais ce qui se passe ? – Qu’est-ce qui se passe ? – Il pousse un pommier, à l’endroit même .  » Et à chaque fois qu’il se rendait au village à pied, impossible de s’en empêcher – c’était son premier plaisir du week-end, il chaussait ses bottes, et il faisait à pied les huit kilomètres de côte qui le séparaient du village, le matin de bonne heure, il faisait toute cette route uniquement pour acheter le journal du samedi, et il ne pouvait pas s’empêcher de penser : « Johnny Appleseed ». Quel plaisir ! Quel plaisir pur, fougueux, sans retenue, de marcher à grandes enjambées !  » Philip Roth – le Paradis perdu, in Pastorale américaine. // en route, samedi 5-10-19

Le dernier rivage – On the beach

Une fois n’est pas coutume je vais présenter ici un film américain. Il date de 1959 et je pense qu’en son temps, vu le nombre de prix qu’il a récolté (1960), il a eu un impact retentissant… mais vite oublié, si j’en juge par son absence de programmation puisque je n’en avais jamais entendu parler ni personne autour de moi… pas plus que du roman.

Est-ce parce qu’il s’agit de la fin du monde ?

Une catastrophe nucléaire par armes de guerre a eu lieu et la Terre est irradiée. Les habitants sont tous morts, à l’exception des Australiens sauvés pour un instant par la distance géographique ; sur place, les scientifiques prédisent l’arrivée des radiations sur le continent dans un délai de cinq mois. Avant cette date fatidique de mort annoncée, on partage « la vie » d’un groupe de personnages.. je n’en dis pas plus, il faut voir et découvrir « Le dernier rivage ». Et pour deux raisons : d’abord parce que l’image en noir et blanc est absolument sublime, les acteurs Gregory Peck, Ava Gardner, Anthony Perkins et tous les autres, y sont très touchants et filmés de façon remarquable et que l’histoire est plus que d’actualité. Je ne cacherai pas qu’à son issue j’ai été chamboulée et très sombre. Le climat et l’ambiance actuels sur Terre laissent prévoir une fin plutôt rapide de l’humanité dans un contexte très conflictuel et très injuste entre les personnes, les pays privilégiés et les plus démunis, sur fond de désertification générale et de destruction quasi intégrale du vivant par dérèglement continuel depuis au moins 50 ans. Ce film m’a fait l’effet d’un premier reflet de miroir.

La fin de notre monde n’est plus une fantasmagorie de collapsologue, une science-fiction de plus pour amateur, un frisson sur écran, une théorie scientifique qu’on peut minimiser et plus grave encore, la question n’est plus de savoir si c’est vrai ou pas. Nous sommes déjà dans le processus rapide de la fin à moyen terme de ce qui a été, de la vie sur Terre… 20,30,50 ans… ?

Il ne nous reste plus qu’à voir notre environnement disparaitre en soutenant ce qui le peut et en insufflant encore les principes de justice et de respect de la vie à ceux qui vont rester. On nous avait prévenu, on n’a pas écouté. « There is still time .. brother »

Le Décaméron, Pasolini et moi

J’ai peint cette grande toile (120 x 80cm) après avoir regardé le film de Pasolini ; aujourd’hui elle se trouve chez mon fils qui l’a prise pour lui. Ma fille m’avait offert le livre de Boccace et quand j’y pense, je reste fascinée par le film qu’a su en tirer Pasolini, ce chef-d’œuvre esthétique absolu qui siège en belle place dans mon panthéon personnel. Un des grands amis de ma vie, aujourd’hui disparu, s’était écrié lorsque je lui dévoilais la toile que je venais d’achever :  » Oh ! elle en a des choses à dire elle… »

Oui, d’autant que nous sommes trois à l’avoir mise au monde…: Boccace, Pasolini et moi.

1350 environ. Imaginez une épidémie de peste noire dévorant l’Europe, imaginez un tiers de la population européenne disparue en cinq ans (1348-1353)… non en fait c’est inimaginable… En Italie, un homme de trente-cinq ans, se met à écrire un récit en prose. ‘Le Livre des dix journée’ s’ouvrant sur…’ le tableau apocalyptique de la peste, à la force grandiose et terrible, n’ayant rien à envier à la description de la peste d’Athènes chez Thucydide. Là, sept jeunes filles courtoises et trois jeunes hommes ayant conservé leur noblesse d’âme se retirent sur les pentes enchanteresses de Fiesole pour fuir la contagion de Florence, devenue une immense sépulture, et pendant deux semaines se réunissent à l’ombre des bosquets et se distraient chaque jour par le récit de dix nouvelles, une pour chacun, tantôt sur un sujet libre, tantôt sur un sujet fixé à l’avance pour tous, par la reine ou le roi de la journée...’ P.Laurens. – Voilà donc notre Boccace qui va écrire en un espace-temps (Fiesole – deux semaines- dix personnes) parfaitement circonscrit hors des griffes de la peste, des heures de liesse, d’amour, de sentiments et de pensée profonde pour subjuguer la mort absolue de la pandémie. Quelle saine et farouche réaction, comme un réflexe vital, pour ne pas « crever » tout à fait dans l’hécatombe en cours en y laissant sa raison, que de créer cet univers. Un univers où la vie ne craint rien. Et au fond que fait un créateur sinon s’enfermer dans un espace-temps qui lui est propre pour ne pas mourir d’effroi ?

Voyage en orchidée

Depuis le mois de janvier, dans le périmètre de ma vie, au hasard des chemins où je passe, j’ai pris en photo ces fleurs mythiques, les orchidées sauvages. Longtemps le privilège de ma mère qui les cherchaient par jeu, dans le moindre de leurs retranchements, c’est récemment que je me suis mise, à pas comptés, dans ses traces, pour explorer ce monde fascinant. Printemps après printemps (3 exactement) je découvre, nomme et admire ses étranges compagnes de nos vies aux formes admirables, comme intelligentes.

Orchis géant – barlia robertiana- dès le mois de janvier la première à fleurir, immense et invasive…

« [Odette] tenait à la main un bouquet de catleyas et Swann vit, sous sa fanchon de dentelle, qu’elle avait dans les cheveux des fleurs de cette même orchidée attachées à une aigrette en plumes de cygne. » M.Proust, Du côté de chez Swann.

L’ophrys bécasse – ophrys scolopax -, 18 mai

L’ophrys araignée – ophrys sphegodes-, mars

L’ophrys brun – ophrys fusca-, mars

On estime à 25 000 environ le nombre d’espèce d’orchidées dans le monde, entre 350 et 400 en Europe, 170 en France et 64 dans la zone du Ventoux. Le nom d’orchidée vient du grec Orkis = testicule, en allusion à la forme de tubercule des racines de ces plantes. La connaissance des orchidées s’est développée par tradition orale, dans le cadre de croyances populaires plus ou moins mystérieuses, basées sur certaines pratiques païennes ou médicinales voire culinaires. C’est à la forme de ses tubercules que nous devons des vertus aphrodisiaques à certaines préparations, altérant ou vivifiant la virilité masculine. Cette croyance est encore très vivace en Tunisie. Au Moyen-Orient, le salep, préparation d’un liquide à base de tubercules séchées et pilées est consommé avec délectation, mettant en danger par l’arrachage de plusieurs dizaines de tonnes de tubercules, la conservation des orchidées dans ces régions. Du XVIIe au XIXe s. l’orchidée exotique devient un objet de collection, -non plus pour ses tubercules mâles mais pour sa fleur femme-, un objet de luxe, convoitise des grandes bourgeoisies anglaise et parisienne (cf. le catleya de Proust), ayant pour conséquence le pillage de certaines zones de forêts équatoriales. Depuis plus de 50 ans, les orchidées européennes sortent de l’ombre.

Orchis pyramidal – anacamptis pyramidalis- « commune », mai

l’orchis pourpre – orchis purpurea- « commune » , mai

La menace qui pèse sur les orchidées est directement lié à la disparition de leurs milieux : zones humides, pâtures, landes calcaires, fûtaies mais aussi à l’utilisation des pesticides qui éradiquent les pollinisateurs… bref, un peu à tout ce qui est en cours actuellement chez l’humain : bétonnisation et chimie.

une sous-espèce de l’ophrys araignée – ophrys sphegodes- mars

orchis militaire -orchis militaris- mai

platanthère à deux feuilles – platanthère bifolia- mai

Dactylorhiza (angustata ?) – mai – rare, en danger
Orchis pâle – orchis pallens – mai – très rare et menacée

Je n’aborderai pas la sexualité des orchidées, qui est multiple en fonction des espèces ! Je vais me contenter de continuer d’aller à leur rencontre, au hasard de mes chemins et m’ébahir de leur beauté. Demain, j’ai prévu une sortie vers elles. J’espère qu’elles seront au rendez-vous cette année encore.

Le spectre

Soulève la paupière close Qu’effleure un songe virginal, Je suis le spectre d’une rose Que tu portais hier au bal.

Tu me pris encore emperlée Des pleurs d’argent de l’arrosoir, Et parmi la fête étoilée Tu me promenas tout le soir.

O toi, qui de ma mort fut cause, Sans que tu puisses le chasser, Toutes les nuits mon spectre rose À ton chevet viendra danser.

Mais ne crains rien, je ne réclame Ni messe ni De Profundis; ce léger parfum est mon âme Et j’arrive au Paradis.

Mon destin fut digne d’envie, Et pour avoir un sort si beau Plus d’un aurait donné sa vie, Car sur ton sein j’ai mon tombeau, Et sur l’albâtre où je repose Un poète avec un baiser Écrivit : Ci-gît une rose Que tous les rois vont jalouser.

Le spectre de la rose – Théophile Gauthier // des roses après la pluie de la nuit, chez moi, 9-05-19

Miroir

Ce qui m’attache le plus, quant à moi, dit Sylvestre, c’est la nature vivante, le mobile vêtement terrestre. Je ne me suis jamais lassé d’étudier avec le plus grand soin la nature différente de chaque plante. Les végétaux sont le langage le plus direct du sol ; chaque nouvelle feuille, chaque plante particulière, c’est quelque secret qui cherche à s’exhaler et qui, plein d’amour et de désir, ne pouvant faire un mouvement ni prononcer un mot, devient une plante silencieuse et paisible ! Lorsqu’on trouve une pareille fleur en pleine solitude, n’est-ce pas comme si tout se transfigurait autour d’elle et comme si toutes les petites chansons ailées choisissaient près d’elle leur lieu de prédilection ?

On voudrait pleurer de joie et, séparé du monde, enfoncer les pieds et les mains dans la terre pour y prendre racine et ne plus jamais s’éloigner de ce bienheureux voisinage…

Sur tout notre monde avide est étendu ce vert et mystérieux tapis de l’amour. Il se renouvelle à chaque printemps et son écriture singulière, comme le langage des bouquets en Orient, n’est lisible que pour un amant…

Il peut éternellement la lire sans se lasser et chaque jour il trouvera, dans cette amoureuse nature, des significations nouvelles, des révélations meilleures. Cette jouissance inépuisable, voilà le charme secret qu’a pour moi le voyage sur la surface de la terre : chaque contrée résout de nouvelles énigmes et me laisse toujours deviner davantage d’où vient notre route et où elle va.

Novalis – Heinrich von Ofterdingen // Hépatiques, narcissus jonquilla et potentilles, Lubéron & monts de Vaucluse 24-03-19

Amour, amitié…

Durant la seconde moitié du XIVe s., une riche et érudite personne de Sorgues, dans le Vaucluse, faisait décorer les murs de sa demeure d’une fresque au thème courtois, par d’habiles ouvriers de l’atelier d’Avignon.

À cette époque le pape, la curie et la cour, mobiles, s’établissaient à Avignon ( du 3 mars 1309 jusqu’au 13 septembre 1376) dans un palais en cours de construction. Un grand nombre de localités des alentours, parties du comtat venaissin (baptisé ainsi d’après le village de Venasque, niché sur une falaise, place forte à l’abri des assauts, qui devint lui-même le coffre-fort de la papauté, puisque c’est là qu’y était entreposé tout le trésor et toutes les archives de la Chrétienté et d’après ce qu’on dit, il en reste encore), furent prises dans le tourbillon de cette illustre société et pendant tout le XIVe s. le comtat venaissin et Avignon furent un des centres artistique et intellectuel des plus foisonnants.

Parmi les personnalités remarquables, Francesco Petrarca, Pétrarque, laissa de nombreux repères de sa vie ici. Hormis la célèbre Laure de Noves (Noves est un petit bourg vers Châteaurenard, sur l’autre rive de la Durance) , et tous les chants qu’elle lui inspira, il laissa un magnifique petit récit « L’ascension du mont Ventoux », lettre célèbre qu’il écrivit le 26 avril 1336 depuis Malaucène. Pétrarque avait 32 ans et « goûtait depuis dix ans en Avignon la vie mondaine et raffinée de la cour papale, où l’élégance de sa culture et de ses premières œuvres poétiques l’imposent à l’admiration générale. Outre sa sensualité et sa curiosité innées, tout disposait Pétrarque à ce regard si vif sur le site naturel de sa jeunesse. Son enfance provençale, ses études à Carpentras, l’éducation très tôt venue, aussi , de son œil de voyageur à la diversité des paysages, non moins que cette culture italienne, précoce en Europe, pour les libres spectacles de la nature. …/… Mais s’en tenir là serait oublier que ces lieux furent aussi pour Pétrarque ceux d’une aspiration toute contraire. On a souvent noté sa double nature, ambitieuse et frivole, avide de biens et de plaisirs; et cependant inquiète, solitaire, puisant dans la lecture des latins la consolation de sa vie hésitante. Deux dates sont décisives qui cernent l’épisode de la montée au Ventoux. La rencontre en 1333, à Avignon, de Dionigi Roberti da Borgo San Sepolcro, le père augustinien qui devait l’initier à la lecture de l’Evêque d’Hippone. Les deux années de retraite ascétique aussi, qu’en 1337-1338 il vécut auprès de son jeune frère Gherardo un lieu retiré du Vaucluse. L’un est le destinataire de la lettre, l’autre le complice…/… Deux élans s’affrontent dans sa lettre qui lui donnent son admirable tension : une sensibilité si neuve qu’elle ne sait pas ce qu’elle perçoit, et une conscience qui cherche dans son patrimoine spirituel une règle de conduite pour en user. Autrement dit , du vague à l’âme. » Pierre Dubrunquez.  

…  »Aujourd’hui, mû par le seul désir de voir un lieu réputé pour sa hauteur, j’ai fait l’ascension d’un mont, le plus élevé de la région, nommé non sans raison Ventoux »… Mais revenons à notre fresque de Sorgues et qui laisse songeur : Quelle pièce ornait-elle ? Qui était assez sentimental pour commander cette décoration ? Y cherchait-on l’inspiration ou au contraire des réminiscences ? Etait-ce une pièce dédiée aux musiciens et aux poètes de passage ou un endroit de quiétude solitaire ?

la fresque d’un baiser, dans la maison de Sorgues…

Pendant ce temps, à quelques centaines de kilomètres plus au Nord, Guillaume de Machaut écrivait son chef d’œuvre : Le Livre du Voir dit ou Le Dit véridique. (1362-1365) « C’est une histoire d’amour (une jeune femme est amoureuse d’un vieux poète dont elle ne connaît d’abord que la poésie) à la fois très concrète (ce n’est pas un amour de loin : la scène centrale est une scène d’union) et très allégorique. C’est une confession autobiographique sur la vieillesse (G.deM. meurt en 1377 à Reims) et la position sociale du poète, mais aussi et surtout une réflexion sur l’expérience littéraire, les pouvoirs de la littérature, les mouvements de la mémoire qui y sont à l’oeuvre. Ce livre qu’on a pu qualifier de «nouveau roman» du XIVe s, fait alterner des passages narratifs, des chansons, des lettres, et des échappées mythologiques. » Poésie sur la toile.

.. »Ici commence le livre du Voir Dit. Ci commence le livre du Voir Dit À la louange et en l’honneur A la louenge et a l’onnour de très parfaite Amour De tresfine Amour que je honnour, que j’aime et dont je suis le très obéissant et très respectueux serviteur Aim, obeÿ et sers et doubte , ayant placé en elle toute ma pensée Qu’en luy ay mis m’entente toute ; pour ma dame gracieuse, et pour ma gracieuse dame à qui je me suis donné corps et âme, a cuy j’ay donné corps et ame et que j’aime d’un cœur d’ami véritable et que j’aim de vray cuer d’ami, et incomparablement plus que moi-même sanz comparison plus que mi; et en l’honneur d’Espérance la valeureuse et d’Esperance la vaillant , qui jamais ne me faillit au besoin qui unques ne me fu faillant, je veux commencer une œuvre nouvelle vueil commencier chose nouvelle. Je la composerai pour Toute Belle que je feray pour Toute Belle. Et certes j’ai toute raison de le faire : elle est issue d’une si illustre maison, elle est si savante, de si haut prix, que sur la terre entière il n’en est pas une qui soit de vilénie aussi exempte, de qualités aussi bien parée et de beauté à ce point ornée ; car Nature, quand elle la façonna, l’a revêtue d’une forme si séduisante, que jamais encore elle n’avait réussi un ouvrage aussi fin, aussi plaisant, aussi vivace ; et elle aura beau y employer zèle, imagination et peine, jamais plus elle ne fera sa pareille. Bref, la terre entière admire ses mérites, sa beauté et sa très grande loyauté… » Guillaume de Machaut. // photos de la fresque au Petit Palais d’Avignon, décembre 2018.