Le dernier rivage – On the beach

Une fois n’est pas coutume je vais présenter ici un film américain. Il date de 1959 et je pense qu’en son temps, vu le nombre de prix qu’il a récolté (1960), il a eu un impact retentissant… mais vite oublié, si j’en juge par son absence de programmation puisque je n’en avais jamais entendu parler ni personne autour de moi… pas plus que du roman.

Est-ce parce qu’il s’agit de la fin du monde ?

Une catastrophe nucléaire par armes de guerre a eu lieu et la Terre est irradiée. Les habitants sont tous morts, à l’exception des Australiens sauvés pour un instant par la distance géographique ; sur place, les scientifiques prédisent l’arrivée des radiations sur le continent dans un délai de cinq mois. Avant cette date fatidique de mort annoncée, on partage « la vie » d’un groupe de personnages.. je n’en dis pas plus, il faut voir et découvrir « Le dernier rivage ». Et pour deux raisons : d’abord parce que l’image en noir et blanc est absolument sublime, les acteurs Gregory Peck, Ava Gardner, Anthony Perkins et tous les autres, y sont très touchants et filmés de façon remarquable et que l’histoire est plus que d’actualité. Je ne cacherai pas qu’à son issue j’ai été chamboulée et très sombre. Le climat et l’ambiance actuels sur Terre laissent prévoir une fin plutôt rapide de l’humanité dans un contexte très conflictuel et très injuste entre les personnes, les pays privilégiés et les plus démunis, sur fond de désertification générale et de destruction quasi intégrale du vivant par dérèglement continuel depuis au moins 50 ans. Ce film m’a fait l’effet d’un premier reflet de miroir.

La fin de notre monde n’est plus une fantasmagorie de collapsologue, une science-fiction de plus pour amateur, un frisson sur écran, une théorie scientifique qu’on peut minimiser et plus grave encore, la question n’est plus de savoir si c’est vrai ou pas. Nous sommes déjà dans le processus rapide de la fin à moyen terme de ce qui a été, de la vie sur Terre… 20,30,50 ans… ?

Il ne nous reste plus qu’à voir notre environnement disparaitre en soutenant ce qui le peut et en insufflant encore les principes de justice et de respect de la vie à ceux qui vont rester. On nous avait prévenu, on n’a pas écouté. « There is still time .. brother »

À la source du Malheur

‘Gilgamesh et Enkidou franchissent l’entrée et arrivent au cœur de la forêt. Séduits, ils regardent la montagne verte et admirent la beauté des cèdres. Ils suivent les pistes bien tracées que Houmbaba utilise. Ils contemplent la Montagne des Cèdres demeure des dieux, sanctuaire de la souveraine Ishtar. Autour d’eux, partout les cèdres se dressent leur ombre immense et leur senteur réjouissent le cœur.

Devant Shamash Gilgamesh les larmes aux yeux se prosterne il implore son aide : ‘Ô divin Shamash tu as promis à ma mère Ninsoun d’être près de moi. Ne m’abandonne pas ne t’éloigne pas de moi, entends mon appel.’

Gilgamesh prend sa hache et se met à couper un cèdre sa chute fait un bruit assourdissant lorsque Houmbaba l’entend il s’écrie furieux : ‘Qui a pénétré dans la forêt et a porté la main sur les arbres qui poussent sur ma montagne ? Qui a coupé le cèdre ?’

Le dieu Shamash déchaîne alors les grands ouragans : le vent du nord et le vent du sud le vent chaud et le vent de tempête le cyclone et le tourbillon. Houmbaba aveuglé ne peut plus bouger les deux amis prennent la hache ils tirent le glaive du fourreau entourent Houmbaba qui s’écrie : ‘Que la malédiction du dieu Enlil vous poursuive !’ Les deux amis ignorent ces paroles et Enkidou dit : ‘Houmbaba seul on ne peut vaincre mais deux ensemble le peuvent, l’amitié multiplie les forces une corde triple ne peut être coupée et deux jeunes lions sont plus forts que leur père.’ Gilgamesh et son ami Enkidou frappent à mort le gardien des cèdres. À deux doubles heures la forêt se lamente et les cèdres gémissent. Gilgamesh et Enkidou ont frappé à mort Houmbaba le gardien de la forêt et son cri de mort fait trembler l’Hermon et le Liban. Ils s’avancent avec leurs armes dans la forêt et coupent les cèdres. Sur les rives de l’Euphrate le courant emporte les cèdres vers Ourouk.’

L’épopée de Gilgamesh, née dans les boues fertiles du Tigre et de l’Euphrate en Mésopotamie, a eu un impact retentissant dans l’élaboration des civilisations méditerranéennes qui suivirent les années -5000, -6000 av. JC.

Aucun n’échappa à la tradition des mythes suméro -babyloniens fondateurs : Hébreux, Grecs et Latins tour à tour y puisèrent la trame et les modèles de ce qui est à la source aujourd’hui de notre imaginaire collectif, quand ce n’est pas l’essence de notre pensée même. En lisant cette épopée, je fus frappée par ce passage de « La forêt des cèdres – La mort de Houmbaba » , y voyant là une des étincelles qui embrasèrent la forêt amazonienne, les forêts d’Afrique équatoriale et celles des steppes sibériennes au début de l’été actuel. Parce que le jour où Gilgamesh et Enkidou transgressèrent l’interdit sacré en détruisant le gardien de la forêt, Houmbaba, l’âme même des arbres, le protecteur des cèdres, afin de ‘se servir’ du bois des grands fûts pour la réalisation d’édifices toujours plus vastes et audacieux, ce jour marque la disparition du respect pour la vie même d’un arbre et l’apparition de son statut de matière inerte, matière première, objet et source de profit pour les humains.

Se poser la question de l’âme des arbres -au risque assumé de passer pour une illuminée new-age-, ramène directement au chamanisme, à l’animisme, au taoïsme, partout où les peuples humains non occidentaux vivent en osmose avec leur environnement naturel, et le protège coûte que coûte. Et d’ailleurs, avant que Charlemagne, en grande affaire territoriale avec le pape et la religion catholique, n’intervienne lui-même pour faire détruire l’Arbre culte Irminsul, représentant de l’ancestral Yggdrasil nordique, en forêt saxonne, arbres et forêts étaient vénérés, tout comme les forêts de Cèdres protégées par Houmbaba, dans un monde situé bien au-delà des frontières et de l’influence de Gilgamesh.

Revenir sur plus de 3000 ans de pensée et culture collectives est autant dire impossible, de ce fait je vois mal comment changer la conscience occidentale sur le monde qui l’abrite et je suppose donc que le seul moyen de sauver la planète est de faire en sorte que les Occidentaux soient dévastés, suffisamment pour se retrouver minoritaire sur Terre, laissant ainsi la place aux peuples qui depuis toujours vivent en relation symbiotique avec la Nature.

L’épopée de Gilgamesh traduit par Abed Azrié / Forêt dans les nuages vers Grenoble, août 2019 / Aquarelle inachevée d’un pin de Friedrich P. Reinhold en 1820.

Jour sans

Capitaine Hadock

Il y a des jours, comme ces lundis non loin d’élections, où je me rêve justicière (alimenté, ce rêve, par le film Equalizer 2 que j’ai regardé sur netflix hier soir et par les tonnes d’informations toutes aussi calamiteuses les unes que les autres ). Tout comme Denzel Washington je me vois détruisant les tas de salauds qui œuvrent de par le monde. Ces salauds qui choisissent le massacre de l’innocence sous des kilomètres de béton, d' »enrobés » et leurs tonnes de raisons politiques protégeant les bourses, le capital, les banques, les notaires, les agents immobiliers, les industries chimiques et agro-alimentaires et les « BTP » ; entretenant l’injustice et la misère matérielle et visuelle par leurs mensonges quotidiens dont ils nous saturent, dégradant le quotidien vital de la majorité des habitants de la planète, tous règnes compris à l’exception du leur. Oui, je rêve de les anéantir, impunément, un par un ou en tas, contre un mur ou sous un porche, dans un parking , dans la boue. Tout comme Denzel Washington, je les pourfendrais de mes mains armées sans doute, qu’importe. Tout comme lui, je rétablirai le courant interrompu entre Bien ou Mal, Bon ou Mauvais, Juste ou Injuste, Humain ou Inhumain et j’ajouterais ma touche personnelle sur tous les salauds qui défigurent irrémédiablement le monde où je vis pour d’infâmes questions auxquelles ils apportent leurs ignobles réponses sans laisser le choix des alternatives et resserrant chaque jour un peu l’étau. La beauté du monde a un prix et je leurs ferai payer cher, très cher, de leur vie en fait, leurs massacres du vivant pour leurs odieux et sales profits. Leur sang arroserait, dans mon rêve, les murs de ciment qu’ils bâtissent et aux pieds desquels leurs corps lacérés par mes soins s’entasseraient. Allant plus loin et concernant les plus pourris d’entre eux, le supplice du pale, à l’instar de Vlad III l’Empaleur, l’ancêtre des Draculea, semble être le seul moyen de débarrasser la Terre de cette vermine humaine. Vengeance… vengeance les éléphants, les vers de terre, les castors, les mésanges… vengeance la dignité humaine, les lions, les lys, les vallées, les combes, les dormeurs du val. Vengeance les bois et les landes, les banquises, la mer et l’eau des sources, les loups et les ours. Vengeance, les prés, les rainettes et les sauterelles, les lézards et les merles, vengeance la terre, les sols, le sable, les hiboux, les fourmis… et l’air pollué par une poignée, respiré par tout ce qui vit… vengeance les poissons, les dauphins les baleines, vengeance les coraux, les crabes et les goélands, la pluie et les soirées d’été. Vengeance !

Un prologue

J’étais cet enfant cruel et joyeux, qui pourchassait les lézards dans la rocaille brûlante, débusquait les truitelles sous les pierres plates des torrents, encageait grillons et sauterelles, froissait toutes choses entre ses doigts impatients. J’étais cet adolescent gauche, embarrassé de lui-même, qui quêtait le compliment de son père et pour cela s’évertuait à abattre perdreaux et faisans au débouché des haies, lièvres au sortir des chaumes, sangliers et chevreuils dans la paix matinale des sous-bois. Je suis devenu – par mégarde – cet adulte inattentif au monde, portant sur les choses un regard distrait et distant. Puis j’ai appris comme tout un chacun, un matin qui était loin d’être beau, la disparition des abeilles et des papillons et qu’il n’était plus de martres ni d’alouettes. Quelque chose en moi, le petit garçon d’autrefois peut-être, s’est mis alors à sangloter : apeuré, oui, honteux aussi.

Il y a près de deux ans, comme l’une de mes enquêtes m’avait mené en pays de mangroves, sur la côte nord-est de l’île de Bornéo, à mi-chemin des lagons où le corail se meurt et de la forêt tropicale qu’effilochent les plantations de palmiers à huile, je contemplai un univers à l’agonie, un monde à claire-voie dont les surfaces s’étiolaient, de toutes parts livrées aux outrages de l’entaille. Sols perforés, collines tailladées, écorces balafrées – et jusqu’au tégument marin couvert de cicatrices, maculé de sillons graisseux, de la glaire chimique des grands mollusques mécaniques qui rampent sur les océans, absurdement chargés de babioles luminescentes. Et puisqu’il me fallait planter le décorde l’histoire que je m’apprêtais à raconter, je me mis à observer, dans le détail de leurs troncs émaciés et de leurs ramées tourmentées, les grands êtres ligneux qui faisaient front. Comme le pélerin que la vue d’une source rappelle à sa soif, j’éprouvai soudain mon incapacité à décrire au plus près de leur texture, au plus juste de leurs teintes, les frondaisons ajourées. Moi qui avais disserté sur tant de palais jusque dans le détail de leur bossage, la verdure me laissait sans voix. Comment camper en une phrase le galbe d’une palme, l’échancrure d’un branchage ? De quelle façon mot à mot, rester dans le ton d’un buisson ? Le peintre sait bien, lui, qu’une feuille n’est jamais seulement verte, qui use de jaune et de blanc pour rendre l’éclat de la lumière qui s’y prélasse.

Car les mots nous manquent pour dire le plus banal des paysages.Vite à court de phrases, nous sommes incapables de faire le portrait d’une orée. Un pré, déjà, nous met à la peine, que grêlent l’aigremoine, le cirse et l’ancolie. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Au temps de Goethe et de Humboldt, le rêve d’une ‘histoire naturelle’ attentive à tous les êtres, sans restriction ni distinction aucune, s’autorisait des forces combinées de la science et de la littérature pour élever ‘la peinture d’un paysage’ au rang d’un savoir crucial. La galaxie et le lichen, l’homme et le papillon voisinaient alors paisiblement dans un même récit. Aucune créature, aucun phénomène ne possédait sur les autres d’ascendant narratif. Comme les splendeurs les cruautés se valaient. Équitablement audibles, les douleurs appelaient d’unanimes compassions. Ce n’est pas que l’homme comptait peu : c’est que tout comptait infiniment.

Mais à rebours de l’antique savoir des surfaces, pour qui la raison tenait dans un regard, contre la connaissance par assonances, qui se contentait d’effleurer les êtres pour recueillir sur leurs ailes et leurs pétales les lois de leur présence, ont œuvrés ceux qui voulaient à tous prix être profonds, ceux qui désiraient aller au fond des choses, quitte pour cela à les éviscérer. Le parti de l’entaille l’a peu à peu emporté sur l’art du détail, et avec lui la loi des ensembles, qui conduit souvent à ne plus penser que par cheptels. Le temps n’est plus – mais la tendresse a ses saisons – où d’aucuns faisaient promesse et profession de croquer le monde au cas par cas, s’efforçant de saisir les choses dans l’éclat de leur apparition, ourlées de la dentelle de l’instant, à jamais singulièrement belles.

L’un des grands portraitistes de la nature avait posé son chevalet à Bornéo même, à deux pas – quelques centaines de kilomètres – de l’endroit où je me tenais. À écouter Alfred Russel Wallace faire récit de la jungle en chacune de ses aspérités, sans omettre aucune des existences qui la trament, on s’aperçoit que mille mots nous font défaut pour dire nos forêts, et surtout que si nous ne savons plus aimer les êtres naturels, c’est que nous ne savons plus les nommer. Le syrphe, la prêle, le chabot nous sont devenus étrangers. Effrayé déjà par les villes sans verdure, Jean Tardieu écrivait en 1951, au temps où il y avait encore des hannetons, des machaons, et des bouvreuils :

Mais je veux avouer, je veux être présent Je nomme les objets dont je suis l’habitant Ne me refusez pas ma place dans le temps. Car si je me connais je sais ce qui me passe Si je vois ma prison je possède ma vie Si j’entends ma douleur je tiens ma vérité.

À chacun son métier : j’ai suivi le conseil du poète, mais à la manière de l’historien, et me suis mis en quête de cette langue perdue – moins d’ailleurs pour la recouvrer que pour renseigner la chronique de son oubli.

La traque m’a mené plus loin, mais aussi plus près que je ne m’y attendais – de la Prusse du XVIIIe siècle à la France des années 1930, de Goethe à Francis Ponge, des fjords du Spitzberg aux palus du pays picard. Car bien que brisé par le divorce de l’art et de la science, puis réduit en miettes par les chamailleries de leurs rejetons, le rêve de ma description juste et joyeuse du monde n’a jamais pris fin. Hantant les naturalistes, les poètes et quelques philosophes, il a perduré jusque dans les premières décennies du XXe siècle – amenant alors certains à tenter, pour la dernière fois peut-être, de faire le portrait du monde en ses surfaces. Romain Bertrand – Le détail du monde – l’art perdu de la description de la nature. Seuil – 2019

… Je me demande : et si l’image photographique d’aujourd’hui ne faisait pas le lien – post-divorce – entre l’art et la science ? Elle nous permet de faire le portrait du monde et de le partager d’une façon si démocratique que c’est bien la première fois dans l’histoire : Instagram par exemple, pour ne citer que ce réseau des plus emblématiques sur la question. Ne sommes-nous pas nombreux à, vaille que vaille et coûte que coûte, délivrer nos messages d’images photographiques sur l’état de sa surface, comme autant de minutiers du monde ? Beaucoup de choses se perdent et disparaissent, jusqu’à nous-mêmes bientôt très probablement, mais y -aura-t-il jamais eu dans l’histoire de l’humanité autant d’images photographiques partagées et donc vues ? Autant de personnes obnubilées quotidiennement par l’acte photographique ultra technicisé au point d’être connecté au monde en permanence pour le partager sans cesse ? …

Le peuple roi

Peuple grec peuple roi peuple désespéré
Tu n’as plus rien à perdre que la liberté
Ton amour de la liberté de la justice
Et l’infini respect que tu as de toi-même

Peuple roi tu n’es pas menacé de mourir
Tu es semblable à ton amour tu es candide
Et ton corps et ton cœur ont faim d’éternité
Peuple roi tu as cru que le pain t’était dû

Et que l’on te donnait honnêtement des armes
Pour sauver ton honneur et rétablir ta loi
Peuple désespéré ne te fie qu’à tes armes
On t’en a fait la charité fais-en l’espoir

Oppose cet espoir à la lumière noire
A la mort sans pardon qui n’a plus pied chez toi
Peuple désespéré mais peuple de héros
Peuple de meurt-de-faim gourmands de leur patrie

Petit et grand à la mesure de ton temps
Peuple grec à jamais maître de tes désirs
La chair et l’idéal de la chair conjugués
Les désirs naturels la liberté le pain

La liberté pareille à la mer au soleil
Le pain pareil aux dieux le pain qui joint les hommes
Le bien réel et lumineux plus fort que tout
Plus fort que la douleur et que nos ennemis.

Paul Éluard

Au pied du mur

On dit qu’un homme averti en vaut deux. Deux fois plus d’intelligence, « deux cerveaux » allusion à un certain qu’on n’a plus envie de nommer, on oublie. Non, on est simplement plus lucide.

N’oubliez jamais companeros de tous poils, que c’est nous qui les autorisons à nous enfermer. C’est leur jeu, ils en ont établi les règles, comme au jardin d’enfant on fait avec les enfants, et ils surveillent plus ou moins souriants et bluffants, qu’on les respectent. Personne, sinon votre bonne éducation, ne vous oblige à leur obéir. Personne ne vous oblige à rester entre leurs mains, personne ne vous ordonne d’aller là où ils vous disent d’aller. Il faut du courage pour franchir le pas mais une fois qu’il est fait, tout renaît. Comme, vache à lait, on quitte l’étable électrifiée pour reprendre son destin en main. Bonne lecture.

https://www.laquadrature.net/2018/12/06/les-gouvernement-europeens-saccordent-pour-confier-la-censure-du-web-a-google-et-facebook/

LES GOUVERNEMENTS EUROPÉENS S’ACCORDENT POUR CONFIER LA CENSURE DU WEB À GOOGLE ET FACEBOOK

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Nous n’aurons jamais vu un règlement européen être accepté aussi rapidement par les gouvernements européens (en moins de 3 mois !), et ce malgré les inquiétudes exprimées par divers États1. Macron les a manifestement convaincu que, les élections européennes approchant, ils pourraient maintenir leur pouvoir en agitant l’inaltérable prétexte terroriste. En résulte une censure et une surveillance généralisée de l’Internet.

Le Conseil de l’Union européenne vient donc d’acter, à l’instant et sans le moindre débat sérieux, un projet de loi qui obligera tous les acteurs du Web à se soumettre aux outils de surveillance et de censure automatisés fournis par Facebook et Google2, tout en permettant à la police d’exiger le retrait en une heure des contenus qu’elle jugera « terroriste », sans l’autorisation d’un juge.

Deux mesures aussi délirantes qu’inédites, qui conduiront à soumettre tout l’écosystème numérique européen à une poignée de géants que l’Union prétend cyniquement vouloir combattre (lire notre analyse), tout en risquant de remettre en cause la confidentialité de nos correspondances3… Et tout ça alors que ni la Commission européenne ni les gouvernements n’ont jamais réussi à démontrer en quoi cette loi serait utile pour lutter contre le terrorisme4.

Le débat sur ce texte se poursuivra maintenant devant le Parlement européen. Celui-ci votera mercredi prochain, le 12 décembre, un premier « rapport sur la lutte anti-terroriste » qui, sans avoir l’effet d’une loi, promeut peu ou prou les mêmes mesures absurdes que celles prévues dans le « règlement de censure anti-terroriste », que le Parlement examinera dans les semaines suivantes.

Ce premier vote de mercredi sera l’occasion pour chaque député européen de révéler sa position face au projet totalitaire d’Emmanuel Macron, et ils devront en rendre compte alors que s’amorce la campagne électorale pour les élections européennes de 2019.

References

1. Se sont notamment opposés à la version actuelle du texte la Finlande, la Slovaquie, la République Tchèque, la Pologne, le Danemark
2. Dès juin 2017, la Commission européenne se félicite publiquement « avoir travaillé depuis deux ans avec les plateformes clefs du Web au sein du Forum européen de l’Internet », qui regroupe Google, Facebook, Twitter et Microsoft depuis 2015, « pour s’assurer du retrait volontaire de contenus terroristes en ligne », notamment grâce à « l’initiative menée par l’industrie de créer une « base de données d’empreintes numériques » [« database of hashes »] qui garantit qu’un contenu terroriste retiré sur une plateforme ne soit pas remis en ligne sur une autre plateforme ».
Pour la Commission, déjà, « l’objectif est que les plateformes en fassent davantage, notamment en mettant à niveau la détection automatique de contenus terroristes, en partageant les technologies et les outils concernés avec de plus petites entreprises et en utilisant pleinement la « base de données d’empreintes numériques » » (toutes ces citations sont des traductions libres de l’anglais).
3. Notons ici une légère évolution depuis notre dernière analyse concernant les risques pour la confidentialité de nos communications. Dans la version du règlement actée aujourd’hui par le Conseil de l’UE, le considérant 10 a été modifié et semble tenter d’exclure du champ d’application de ce texte les services de communications interpersonnelles : « Interpersonal communication services that enable direct interpersonal and interactive exchange of information between a finite number of persons, whereby the persons initiating or participating in the communication determine its recipient(s), are not in scope ».
Cette précision est toutefois particulièrement hasardeuse et n’a rien de rassurante. D’abord, la précision n’est nullement reprise à l’article 2 du règlement qui définit les différentes notions du texte. Surtout, cette précision n’est pas cohérente : les « service de communications interpersonnelles » sont déjà définis par le code européen des communications électroniques (article 2 et considérant 17), comme pouvant alors couvrir certains services de Cloud (où un nombre limité d’utilisateurs peuvent échanger des documents, typiquement). Pourtant, la version du règlement actée aujourd’hui indique explicitement s’appliquer aux services de Cloud, tout en prétendant ne pas s’appliquer aux communications interpersonnelles. La confusion est totale.
4. En 2017, l’UNESCO publiait un rapport analysant 550 études publiées sur la question de la radicalisation en ligne. Le rapport conclut que « l’état actuel des preuves sur le lien entre Internet, les médias sociaux et la radicalisation violente est très limité et toujours pas conclusif » et qu’il n’y a « pas de preuves suffisantes pour conclure qu’il existe un lien de causalité entre la propagande extrémiste ou le recrutement sur les réseaux sociaux et la radicalisation violente des jeunes ». Le rapport souligne que « les tentatives pour empêcher la radicalisation des jeunes sur les aspects Internet n’ont pas prouvé leur efficacité mais, d’autre part, peuvent clairement nuire aux libertés en ligne, particulièrement la liberté d’expression » (notre traduction de l’anglais).

Dompter les feuilles

La branche a cru dompter ses feuilles
Mais l’arbre éclate de colère
Ce soir que montent les clameurs
Le vent a des souffles nouveaux
Au royaume de France
Le peintre est monté sur les pierres 
On l’a jeté par la frontière
Je crois qu’il s’appelait Julio
Tout le monde peut pas s’appeler Pablo
Au royaume de France 

Et le sang des gars de Nanterre
A fait l’amour avec la terre
Et fait fleurir les oripeaux
Le sang est couleur du drapeau
Au royaume de France

Et plus on viole la Sorbonne
Plus Sochaux ressemble à Charonne

Et moins nous courberons le dos
Au royaume de France

Perché sur une barricade
L’oiseau chantait sous les grenades
Son chant de folie était beau
Et fous les enfants de Rimbaud
Au royaume de France

La branche a cru dompter ses feuilles
Mais elle en portera le deuil
Et l’emportera au tombeau
L’automne fera pas de cadeau
Au royaume de France

J.M Caradec – mai 68 // un cornouiller mâle, sur mon chemin 2-12-18

Jour d’automne

 

La pluie et du jaune et du rouge sur le vert Au loin des sirènes Les cygnes ne  bronchent pas Ni les cormorans en forme de croix

 

Les arums mortels ont envahi le sous-bois déjà pris par le lierre Il ne faut pas perdre la trace dans les feuilles mortes qui mènent sur la rive

Les menaces sont nombreuses à qui marche ici Coups de feu Nuit Chutes Rupture Froid Peur Violence humaine pour du trafic Blessures Fascistes Armes Pluies glaçantes sur l’humanité

L’humanité

Mais les arbres.

Île de l’Oiselet, sur le Rhône – 2-12-18 

Cinq doigts

Regarde la, ma ville
Elle s’appelle Bidon,
Bidon bidon, Bidonville
Vivre là-dedans c’est coton
Les filles qui ont la peau douce
La vendent pour manger
Dans les chambres, l’herbe pousse
Pour y dormir, faut se pousser
Les gosses jouent, mais le ballon
C’est une boîte de sardines, bidon
Donne-moi ta main, camarade,
Toi qui viens d’un pays
Où les hommes sont beaux
Donne-moi ta main, camarade
J’ai cinq doigts, moi aussi
On peut se croire égaux

Regarde la ma ville
Elle s’appelle Bidon
Bidon, bidon, Bidonville
Me tailler d’ici, à quoi bon ?
Pourquoi veux-tu que je me perde
Dans tes cités ? À quoi ça sert ?
Je verrais toujours de la merde,
Même dans le bleu de la mer
Je dormirais sur des millions
Je reverrais toujours, toujours bidon.

Donne-moi ta main, camarade,
Toi qui viens d’un pays
Où les hommes sont beaux.
Donne-moi ta main, camarade.
J’ai cinq doigts, moi aussi.
On peut se croire égaux.

Serre-moi la main, camarade
Je te dis  « Au revoir »
Je te dis  « A bientôt »
Bientôt, bientôt,
On pourra se parler, camarade.
Bientôt, bientôt,
On pourra s’embrasser, camarade.
Bientôt, bientôt,
Les oiseaux, les jardins, les cascades.
Bientôt, bientôt,
Le soleil dansera, camarade.
Bientôt, bientôt,
Je t’attends, je t’attends, camarade.

C.Nougaro.