Dompter les feuilles

La branche a cru dompter ses feuilles
Mais l’arbre éclate de colère
Ce soir que montent les clameurs
Le vent a des souffles nouveaux
Au royaume de France
Le peintre est monté sur les pierres 
On l’a jeté par la frontière
Je crois qu’il s’appelait Julio
Tout le monde peut pas s’appeler Pablo
Au royaume de France 

Et le sang des gars de Nanterre
A fait l’amour avec la terre
Et fait fleurir les oripeaux
Le sang est couleur du drapeau
Au royaume de France

Et plus on viole la Sorbonne
Plus Sochaux ressemble à Charonne

Et moins nous courberons le dos
Au royaume de France

Perché sur une barricade
L’oiseau chantait sous les grenades
Son chant de folie était beau
Et fous les enfants de Rimbaud
Au royaume de France

La branche a cru dompter ses feuilles
Mais elle en portera le deuil
Et l’emportera au tombeau
L’automne fera pas de cadeau
Au royaume de France

J.M Caradec – mai 68 // un cornouiller mâle, sur mon chemin 2-12-18

Jour d’automne

 

La pluie et du jaune et du rouge sur le vert Au loin des sirènes Les cygnes ne  bronchent pas Ni les cormorans en forme de croix

 

Les arums mortels ont envahi le sous-bois déjà pris par le lierre Il ne faut pas perdre la trace dans les feuilles mortes qui mènent sur la rive

Les menaces sont nombreuses à qui marche ici Coups de feu Nuit Chutes Rupture Froid Peur Violence humaine pour du trafic Blessures Fascistes Armes Pluies glaçantes sur l’humanité

L’humanité

Mais les arbres.

Île de l’Oiselet, sur le Rhône – 2-12-18 

Cinq doigts

Regarde la, ma ville
Elle s’appelle Bidon,
Bidon bidon, Bidonville
Vivre là-dedans c’est coton
Les filles qui ont la peau douce
La vendent pour manger
Dans les chambres, l’herbe pousse
Pour y dormir, faut se pousser
Les gosses jouent, mais le ballon
C’est une boîte de sardines, bidon
Donne-moi ta main, camarade,
Toi qui viens d’un pays
Où les hommes sont beaux
Donne-moi ta main, camarade
J’ai cinq doigts, moi aussi
On peut se croire égaux

Regarde la ma ville
Elle s’appelle Bidon
Bidon, bidon, Bidonville
Me tailler d’ici, à quoi bon ?
Pourquoi veux-tu que je me perde
Dans tes cités ? À quoi ça sert ?
Je verrais toujours de la merde,
Même dans le bleu de la mer
Je dormirais sur des millions
Je reverrais toujours, toujours bidon.

Donne-moi ta main, camarade,
Toi qui viens d’un pays
Où les hommes sont beaux.
Donne-moi ta main, camarade.
J’ai cinq doigts, moi aussi.
On peut se croire égaux.

Serre-moi la main, camarade
Je te dis  « Au revoir »
Je te dis  « A bientôt »
Bientôt, bientôt,
On pourra se parler, camarade.
Bientôt, bientôt,
On pourra s’embrasser, camarade.
Bientôt, bientôt,
Les oiseaux, les jardins, les cascades.
Bientôt, bientôt,
Le soleil dansera, camarade.
Bientôt, bientôt,
Je t’attends, je t’attends, camarade.

C.Nougaro.

Dieu aux corbeaux

Corbeau, loyal serviteur des dieux et des hommes. Il est la personnification des dons de connaissance et de savoir d’Odhinn. Deux corbeaux sont perchés sur ses épaules et lui disent à l’oreille tous les événements qu’ils voient ou entendent. L’un s’appelle Huggin (‘la Pensée’) et l’autre Muninn (‘la Mémoire’). À l’aube, il les envoie parcourir le monde entier et à leur retour, il s’enquiert de toutes les nouvelles qu’ils ont à lui annoncer. C’est pour cette raison qu’il est appelé le  »dieu aux corbeaux » et qu’il est omniscient. En outre le corbeau est au service de la vie: lors de la navigation, il indique le bon chemin. C’est ainsi que l’un des découvreurs de l’Islande, Floki Vilgerdharson, se serait servi de trois corbeaux censés lui avoir indiqué sa route. En mer, il lâcha le premier, qui revint se poser sur l’étrave. Le second vola droit en l’air, puis revint au bateau. Le troisième vola tout droit au-devant de la proue dans la direction où ils découvrirent le pays. (Une histoire semblable se trouve dans le livre de la Genèse, VIII, 6-7.)

L’image du corbeau n’est pas sans ambivalence : dispensateur de vie, bienfaiteur des hommes, il est aussi présage de mort, car c’est un charognard. Cette ambivalence est également la caractéristique d’Odhinn, qui prodigue tantôt la victoire, tantôt la mort.

On retrouve le corbeau dans l’ancien nom de la ville de Lyon, Lugdunum, qui signifie ‘colline de Lug’. Chez les Celtes, Lug (‘le Guerrier’) est le dieu de la guerre et de la victoire. Il protège les arts, tout comme Odhinn, chez les Nordiques, et est à la fois le dieu de la victoire et de la poésie. Le mot dérivé de son nom, lugos, dans la langue des Gaulois, est utilisé pour désigner le corbeau, oiseau oraculaire.

Les gonfanons des Vikings arboraient d’ailleurs l’image d’un corbeau qui déployait et faisait battre ses ailes afin d’obtenir d’Odhinn la victoire.

Patrick Guelpa, les 100 légendes de la mythologie nordique – Que sais-je.

Dommage qu’aujourd’hui le corbeau ne soit plus associé qu’à la mort (sorcières, charognes et fantômes). Fascinant, non, ce glissement des symboles, du sens qu’on leur donne, au fur et à mesure que s’écoulent les siècles … Témoins d’appauvrissement de la pensée ou à l’inverse, d’installation enrichie siégeant dans le dictionnaire, témoins des modes, des pouvoirs dominants, des aversions ou des attirances… Que va devenir notre corbeau, dans ce XXIe s. ? un nom sur un inventaire détaillée de la faune en voie de disparition ou de nouveau l’intercesseur entre le ciel et nous ? L’avant dernier opus de Lou Reed, ‘The Raven’, construit sur le ‘The Raven’ de Poe que Doré a illustré… histoire d’amour et son fantôme matérialisé par un corbeau… me paraît être la dernière allusion du XXe s. au corbeau. Allez, Pensée…  Avance … !

Un corbeau dans les platanes – sur mon chemin, 15-11-18.

Dors bien…

 

J’ai regardé pour la 4e fois hier soir, Interstellar, le film de Christopher Nolan, de 2014. C’est un film qui me laisse toujours partagée, troublée. À chaque fois, j’en comprends davantage sur les raisons de mon trouble (heureusement me direz-vous) : cette science-fiction n’en est pas, et mieux vaudrait l’appeler physique-fiction car c’est un film construit non pas sur la science (qui n’est plus, aujourd’hui que techniciste ultra sophistiquée) mais sur la physique et ses lois. La base. Ce film, comme un plaidoyer pour le futur est très divertissant (les sentiments abondent, c’est agréable ) mais ça s’arrête là,  parce qu’à mon avis il n’y a aucune raison de vouloir sauvegarder l’humanité.

 

 

Une route

…  »Y’a une route C’est mieux que rien Sous tes semelles c’est dur et ça tient…. » G.Manset

Cette route, unique, quitte Méthamis par la gauche au fond, et grimpe en lacets dans les monts sauvages du Vaucluse. Là, tout y est sauvage, pas de maisons ou alors rares, des fermes, encore actives qui cultivent la cerise, des raisins et de la lavande. Il serait très facile de disparaître de la surface du monde dans ces monts… et j’y ai rencontré d’étranges habitats au milieu de nulle part, isolés, cachés… et pas âme qui vive malgré les traces évidentes de leur vie et ça me laisse toujours « songeur ».

-sur la route de Méthamis à Monnieux – 18-11-18-