On m’a dit, depuis l’enfance, que le Paradis était perdu. Plus tard, à mes pourquoi, on a répondu que c’était à cause du péché originel, autrement dit, l’acte sexuel entre l’homme et la femme qui engendre un autre soi-même. Au fur et à mesure de mes chemins j’ai observé que si l’humanité n’a jamais cessé de vivre cet enfer intérieur en son cerveau, le monde lui, la terre et le vivant qu’elle abrite a continué son existence paisible en ses règles.
Se reproduire au point de surpeupler l’enfer, ah, le péché originel… ça n’a jamais été un enfer que pour l’humanité, et pour preuve de ce drame existentiel la coupe aujourd’hui déborde au point d’empiéter sur le paradis de l’Autre, le détruisant inexorablement.
Avons-nous assisté à une guerre silencieuse contre nous, avant, aujourd’hui, de mesurer l’extinction globale du vivant ? L’humanité domine, l’humanité règne en son enfer. Les autres, ont-ils eu le temps, simplement de contrer l’hégémonie humaine ?
Quand il n’y aura plus qu’elle en son enfer désolé et vide, sans fleurs, ni vigne, sans abeille, sans passereaux, sans saison … alors elle s’assiera sur les rochers, se tapera sur les cuisses puis fera la guerre avec elle-même jusqu’à l’extermination.
Je suis humaine pécheresse pourtant. Mais puisqu’il m’est donné de voir, j’aurais préféré autre chose.
Sur mon chemin, étourneaux grapillant. Mardi 7 janvier 2020.
Le sens de la vie, vertical. Comme on lève les yeux pour regarder le ciel, une étoile… Comme un homme aime… Entre le 4 décembre et le 24… Vingt jours sous mes yeux ravis par l’offrande à la vie. Joyeux Noël…
Joyeux Noël, amis, animaux, arbres et terres sauvages, joyeux Noël nuages, nuées et nues, joyeux Noël petits enfants du monde entier.
C’est le temps magnifique, celui des jours aux lumières incertaines ; plus rien ne se discerne tout à fait dans la pénombre des arbres et le regard se perd, fouille l’ombre à la recherche de la vie cachée, ténue qui s’abrite du froid; mais voilà que l’arbre d’or ensorcelle l’œil.
Magnétique dans son fourreau léger, vibrant, sonore, qu’un souffle dénude ; illuminant l’heure et la pensée.
Sur la neige bleue, l’air dispose les feuilles pour l’éternité.
À moins qu’un chevreuil, un écureuil, un enfant n’en déplace l’ordre…
L’inépuisable* Nature nourrit l’imagination et actionne les mains des hommes depuis le commencement de notre présence.
*J’écris Inépuisable du point de vue des ressources formelles et non pas d’un point de vue ressource matérielle, comme la plupart des gens l’entendent aujourd’hui.
Ne pas s’en passer… comment m’en passer… // bijoux mérovingiens et un peu de la forêt du mont Ventoux, 25 octobre 2019.
« En fait, savez-vous pour qui il se prenait ? Non pas lorsqu’il se trouvait au bout de la passe d’un Bucky Robinson, une heure ou deux par semaine, mais le reste du temps ? Évidemment il ne pouvait le dire à personne : il avait vingt-six ans, il venait d’être père, les gens auraient ri de sa puérilité. Il en riait le premier. C’était un de ces souvenirs d’enfance qu’on garde en mémoire si vieux que l’on vive. Quand il se trouvait à Old Rimrock, il se prenait pour Johnny Appleseed. …/… Que Thomas Jefferson ait connu l’oncle de son grand-père ? Tant mieux pour Bill Orcutt. Mais moi, mon héros, c’est Johnny Appleseed. Il n’était pas juif, pas irlandais catholique, pas protestant. Non, c’était seulement un Américain heureux. Costaud, rougeaud, heureux. La cervelle grosse comme un petit pois, sans doute, mais pour ce qu’il avait à faire ! Lui, il lui fallait seulement une paire de guiboles solides. Tout dans la joie physique. Il avait une belle foulée, un sac de graines, un amour colossal et spontané du paysage et, partout où il allait, il semait les pépins à tout vent. Quelle histoire fabuleuse ! Il allait partout, il se promenait partout. Le Suédois adorait cette histoire depuis qu’il était tout petit. Qui l’avait écrite? Personne, pour autant qu’il se souvenait. Ils l’avaient apprise dans les petites classes. Ce sac de pépins, j’adorais ce sac de pépins. Quoique, c’était peut-être son chapeau. Il les mettait dans son chapeau les pépins ? Peu importe. « Qui est-ce qui lui avait dit de faire ça ? » demandait Merry lorsqu’elle fut assez grande pour qu’il lui raconte des histoires au lit, le soir, mais encore assez bébé pour brailler, lorsqu’il essayait de lui en raconter une autre, celle du train des pêches par exemple. « Johnny, je veux Johnny ! – Qui le lui a dit ? Personne mon poussin. C’est pas la peine de lui dire de planter des arbres à Johnny Appleseed. Il le fait tout seul. – Comment elle s’appelle sa femme ? Elle s’appelle Dawn, Dawn Appleseed. – Il a un enfant ? – Bien-sûr qu’il a un enfant, et tu sais comment il s’appelle ? – Comment ? – Merry Appleseed. – Et elle plante des pépins dans un chapeau ? – Bien-sûr mon cœur. Enfin, elle ne les plante pas dans le chapeau, poussin, elle les garde dans le chapeau, et puis elle les lance. Aussi loin qu’elle peut, elle les jette. Et partout où elle jette les pépins, partout où ils atterrissent, tu sais ce qui se passe ? – Qu’est-ce qui se passe ? – Il pousse un pommier, à l’endroit même . » Et à chaque fois qu’il se rendait au village à pied, impossible de s’en empêcher – c’était son premier plaisir du week-end, il chaussait ses bottes, et il faisait à pied les huit kilomètres de côte qui le séparaient du village, le matin de bonne heure, il faisait toute cette route uniquement pour acheter le journal du samedi, et il ne pouvait pas s’empêcher de penser : « Johnny Appleseed ». Quel plaisir ! Quel plaisir pur, fougueux, sans retenue, de marcher à grandes enjambées ! » Philip Roth – le Paradis perdu, in Pastorale américaine. // en route, samedi 5-10-19
Difficile de trouver des fleurs à cette époque de l’année… Une petite fille vient de naître, des asters à profusion pour Elle, roses, mauves et blanches dans les collines et les parcs des villes.
Difficile de trouver des mots pour cette petite fille, je n’en ai pas. Aucun n’est assez pur.
Les floraisons viendront , les mots aussi, en abondance comme des rivières tranquilles ou pas…
On vit. Au hasard des naissances, selon la nécessité des travaux. On habite des lieux dont on ne sait souvent rien tant l’indifférence est peut-être devenue le seul bien commun, l’unique communauté d’une absence en laquelle nous errons ou résidons parfois, ignorant le nom des chemins qui si longtemps conduisirent chacun vers l’accomplissement d’un destin certes borné, et dont la maigre mesure à nos yeux paraît être le fruit d’une indigence autant spirituelle que matérielle, mais qui n’effaçait pas tout à fait la réalité d’un sens.
On est seul au fond. Sans lieu. Sans durée. On a peur. Si peur que vivre ici, vivre ailleurs, vivre somme toute n’importe où, n’a plus aucune importance.
La trame du temps, celle de l’espace sont défaites. On rêve alors quelquefois. Ou l’on ne rêve plus. On ne se souvient plus que de l’oubli qui nous accable.
Lionel Bourg – L’oubli et la mémoire des lieux // Plaine d’Alsace, août 2019 – Lit de l’Ouvèze, septembre 1992 (photo Claude-Michel Desprez) – Massif des Cèvennes août 2019.
Une fois n’est pas coutume je vais présenter ici un film américain. Il date de 1959 et je pense qu’en son temps, vu le nombre de prix qu’il a récolté (1960), il a eu un impact retentissant… mais vite oublié, si j’en juge par son absence de programmation puisque je n’en avais jamais entendu parler ni personne autour de moi… pas plus que du roman.
Est-ce parce qu’il s’agit de la fin du monde ?
Une catastrophe nucléaire par armes de guerre a eu lieu et la Terre est irradiée. Les habitants sont tous morts, à l’exception des Australiens sauvés pour un instant par la distance géographique ; sur place, les scientifiques prédisent l’arrivée des radiations sur le continent dans un délai de cinq mois. Avant cette date fatidique de mort annoncée, on partage « la vie » d’un groupe de personnages.. je n’en dis pas plus, il faut voir et découvrir « Le dernier rivage ». Et pour deux raisons : d’abord parce que l’image en noir et blanc est absolument sublime, les acteurs Gregory Peck, Ava Gardner, Anthony Perkins et tous les autres, y sont très touchants et filmés de façon remarquable et que l’histoire est plus que d’actualité. Je ne cacherai pas qu’à son issue j’ai été chamboulée et très sombre. Le climat et l’ambiance actuels sur Terre laissent prévoir une fin plutôt rapide de l’humanité dans un contexte très conflictuel et très injuste entre les personnes, les pays privilégiés et les plus démunis, sur fond de désertification générale et de destruction quasi intégrale du vivant par dérèglement continuel depuis au moins 50 ans. Ce film m’a fait l’effet d’un premier reflet de miroir.
La fin de notre monde n’est plus une fantasmagorie de collapsologue, une science-fiction de plus pour amateur, un frisson sur écran, une théorie scientifique qu’on peut minimiser et plus grave encore, la question n’est plus de savoir si c’est vrai ou pas. Nous sommes déjà dans le processus rapide de la fin à moyen terme de ce qui a été, de la vie sur Terre… 20,30,50 ans… ?
Il ne nous reste plus qu’à voir notre environnement disparaitre en soutenant ce qui le peut et en insufflant encore les principes de justice et de respect de la vie à ceux qui vont rester. On nous avait prévenu, on n’a pas écouté. « There is still time .. brother »