…en vrac depuis le 1: de la neige dans les lavandes qui embaument dans le froid, les traces de pattes de cinq loups dans la forêt, un sanglier endormi dans la neige, deux roitelets huppés occupés à dévorer, des hellébores évitées par la neige…
Je vous souhaite des forêts profondes, des chemins sauvages, des émerveillements de ciels, des pas perdus aux sommets… la grâce de la vie ici bas.
Il y a parfois dans la vie, des fils qui nous lient à un désir inassouvi. Les bobines se déroulent au fur et à mesure du temps qui passe sans pour autant interrompre un instant l’élan premier de cette recherche, que la mémoire transmuée en volonté par le nombre des années, cherche à accomplir. Jeune fille, mes parents à leurs heures naturalistes, avaient créé pour moi, mes frères, nos amis, tout un univers composé de bestiaires merveilleux à découvrir, de flores à inventorier. Autant de destinations bien réelles que nous parcourions munis de cartes pointées car nos passages en chacun de ces lieux sauvages comportaient tous une liste de trésors à ‘trouver’. Là, un oiseau rare, ici une fleur unique, là-bas un papillon endémique… Chaque séjour était un sujet de conversation lié à nos découvertes. Nous vivions dans un monde émerveillant, dont la beauté naturelle jointe à la pureté sauvage, celle d’une absence totale d’humanité récente, comblait à lui seul notre ‘être social’. Nos plus beaux films étaient les ciels, notre plus belle éducation civique et morale, celle du respect absolu pour toutes ces vies animales et végétales qui se déroulaient tous les jours sous nos yeux remplis et que nous observions en retenant nos souffles et nos gestes, pour ne pas effrayer ce Vivant si petit qui s’écrase sous le pas et s’arrache entre notre mains si l’on n’y prend garde. Les rudiments du monde.
Les années ont passé. J’ai repris aujourd’hui en d’autres lieux ces courses fabuleuses avec mon compagnon, ou seule et avec mes fantômes, impatiente de découvrir l’être animal, végétal, l’objet minéral qui illuminera ma course. Il y a quelques jours, tandis que nous avions arpenté les flancs en pierrier de la montagne de Lure et que nous nous dirigions vers une prairie en pente, nous reçûmes l’amicale visite d’un de ces trésors qui hante ma mémoire car je ne l’ai jamais ‘trouvé’ à l’époque de ma jeunesse : l’apollon. Ce grand papillon, rare, surgi du fond des profondeurs de ma vie et sur le compte duquel j’avais fini par me résigner, l’apollon introuvable. Et là le voilà qui frôlait de ses grandes ailes bruyantes comme un papier de soie froissant l’air immobile, le sommet de nos deux têtes avant de continuer en folâtrant, joyeux d’être, insouciant de vivre, parmi les graminées et les fleurs d’été. J’ai aussitôt saisi mon appareil photo pour tenter d’immortaliser notre rencontre… mais ce bel apollon ne s’est pas laissé faire, continuant de voleter, bienheureux, pour disparaître entre les grands pins. Quelle terrible déception ! ‘Qu’à cela ne tienne, nous reviendrons vite’, m’annonça Christophe, qui voyait ma déconvenue.
Et nous sommes revenus. Vingt-et-un jours après, secrètement résolus à retrouver l’apollon sans se laisser prendre par son manège gracieux. En approchant du secteur où nous l’avions observé, mais par un autre chemin, j’entendis tout à coup Christophe me dire: ‘Regarde, il est là ! ‘ et presque instantanément, un bel apollon vint tranquillement frôler nos têtes puis, il continua sa route, indolent… Je le suivais malgré les dangers du terrain, tout en shootant l’être pâle qui ne cessait son vol imperturbable. Déception des déceptions quand il disparut sous la hêtraie et que ma poursuite s’avéra vaine. Reviendrons-nous ? Si oui, arriverons-nous à le surprendre en train de s’enivrer de nectar au point de se laisser photographier ? J’ai jusqu’au mois de septembre selon les biologistes et autres entomologistes, pour continuer de le voir, sinon ce sera pour l’été 2021 et là…
Apollon, parnassius apollo, rare, bel être en voie de disparition, protégé… ‘Zeus était plein d’ardeur et il eut des rapports amoureux avec de nombreuses nymphes descendant des Titans ou des dieux et, après la création de l’homme, avec des mortelles ; pas moins de quatre grandes divinités de l’Olympe furent enceintes de ses œuvres hors du mariage. D’abord il eut Hermès par Maia, la fille d’Atlas, qui le mit au monde dans une caverne sur le mont Cyllène, en Arcadie. puis il eut Apollon et Artémis par Léto, la fille des Titans Cœos (‘intelligence’) et Phœbé (‘lune’), après qu’il l’eut changé en caille comme il l’était devenu lui-même au moment de s’unir à elle ; mais Héra, jalouse envoya le serpent Python à la poursuite de Léto à travers le monde entier et elle décréta que Léto ne serait délivrée en aucun lieu éclairé par le soleil. Sur les ailes du Vent du Sud, Léto arriva enfin à Ortygie, où elle mit au monde Artémis, qui aussitôt née aida sa mère à se rendre entre un olivier et un dattier qui poussaient sur la face nord du mont Cynthe à Délos, où là elle la délivra d’Apollon après qu’elle eut subi les douleurs pendant neuf jours. Délos qui était jusqu’alors une île flottante, fut fixée définitivement dans la mer et, par décret, personne n’est plus autorisé à y naître ni à y mourir ; les malades et les femmes enceintes sont transportés en bac jusqu’à Ortygie.’
Mais Apollon était aussi le fantôme du roi sacré qui avait mangé la pomme. Le mot Apollon provient peut-être de la racine ‘abol’ ‘pomme’, plutôt que d’apollunai, ‘détruire’, qui en est l’étymologie courante.
‘Ainsi, quand la terre couverte de l’épais limon que laissa le déluge eut été profondément pénétrée par les feux du Soleil, elle produisit d’innombrables espèces d’animaux, les uns reparaissant sous leurs antiques traits, les autres avec des formes inconnues jusqu’alors. Ainsi, mais comme en dépit d’elle-même, elle t’engendra, monstrueux Python, serpent nouveau, effroi des hommes qui venaient de naître, et qui de ta masse énorme couvrais les vastes flancs d’une montagne. Le fils de Latone, qui n’avait encore poursuivi que les daims et les chevreuils aux pieds légers, épuisa son carquois sur le monstre, qui vomit par ses blessures livides son sang et son venin; et pour conserver à la postérité le souvenir et l’éclat de ce triomphe, Apollon institua des jeux solennels qui furent appelés Pythiens. Fille du fleuve Pénée, Daphné fut le premier objet de la tendresse d’Apollon. Cette passion ne fut point l’ouvrage de l’aveugle hasard mais la vengeance cruelle de l’Amour irrité. Le dieu de Délos, fier de sa nouvelle victoire sur le serpent Python, avait vu le fils de Vénus qui tendait avec effort la corde de son arc : Faible enfant, lui dit-il, que prétends-tu faire de ces armes trop fortes pour ton bras efféminé ? Elles ne conviennent qu’à moi, qui puis porter des coups certains aux monstres des forêts, faire couler le sang de mes ennemis, et qui naguère ai percé d’innombrables traits l’horrible Python qui, de sa masse venimeuse, couvrait tant d’arpents de terre. Contente-toi d’allumer avec ton flambeau je ne sais quelles flammes et ne compare jamais tes triomphes aux miens.
L’Amour lui répond :
Sans doute, Apollon, ton arc peut tout blesser; mais c’est le mien qui te blessera et autant tu l’emportes sur tous les animaux, autant ma gloire est au-dessus de la tienne.
Il dit, et frappant les airs de son aile rapide, il s’élève et s’arrête au sommet ombragé du Parnasse : il tire de son carquois deux flèches dont les effets sont contraires; l’une fait aimer, l’autre fait haïr. Le trait qui excite l’amour est doré, la pointe en est aiguë et brillante; le trait qui repousse l’amour n’est armé que de plomb et sa pointe est émoussée. C’est de ce dernier trait que le dieu atteint la fille de Pénée ; c’est de l’autre qu’il blesse le cœur d’Apollon. Soudain Apollon aime, soudain Daphné fuit l’amour : elle s’enfonce dans les forêts où, à l’exemple de Diane, elle aime poursuivre les animaux et se parer de leurs dépouilles : un simple bandeau rassemble négligemment ses cheveux épars.
Cependant Apollon aime : il a vu Daphné; il veut s’unir à elle : il espère ce qu’il désire; mais il a beau connaître l’avenir, cette science le trompe et son espérance est vaine. Comme on voit s’embraser le chaume léger après la moisson, comme la flamme consume les haies, lorsque pendant la nuit le voyageur imprudent en approche son flambeau ou lorsqu’il l’y jette au retour de l’aurore, ainsi s’embrase et brûle le cœur d’Apollon et l’espérance nourrit un amour que le succès ne doit point couronner.’
Robert Graves, Les mythes grecs – la naissance d’Apollon ; Ovide, Les Métamorphoses ; Sur la montagne de Lure, 5 et 26 juillet 2020.
Comment dire que c’est, sur Terre, l’endroit que je préfère… sous-bois. Arpenter sans cesse les pistes, les chemins, les sentiers, le sol, découvrir les habitants passagers et ceux, sédentaires, qui siègent et triomphent par l’ampleur de leur taille et la puissance de leur présence.
C’est un monde fermé mais sans mur, un monde à part sans frontière sinon l’ombre qui nimbe comme une eau et qui signale la limite à franchir.
Sous-bois, clos d’ombre, à la source de la lumière.
Les rencontres y sont toutes émouvantes; la frontière de nos perceptions est l’ultime limite, la source de l’imagination.
La source de notre histoire. Le creuset de l’âme humaine. … »Au bois de mon cœur, il y a des petites fleurs, des petites fleurs, il y a des copains, au bois de mon cœur… »
Montagne de Bergiès , dimanche 21 juin 2020.Georges Brassens, Au bois de mon cœur.
Il y a quelques jours, je suis passée en coup de vent près de Reillanne , dans les Alpes de Haute Provence, non loin de chez moi. Je cherchais des fleurs rares, des oiseaux précieux et des paysages de haute valeur esthétique pour mon plaisir naturaliste. Soudain à cet endroit je n’ai pu m’empêcher de photographier cet homme en plein labeur, malgré ma réticence à ce genre de photographie à la frontière du voyeurisme et de l’indécence. Pourquoi ? Parce qu’en cadrant, je me suis rendue compte que c’était une image intemporelle.
Nous sommes en 1973, j’ai huit ans et l’on passe dans la campagne… je vois par la vitre arrière où je me tiens assise, cette scène banale pour une petite fille, et habituelle lors de nos promenades vagabondes… Non , nous sommes en 1930, je ne suis pas née mais je suis en train de lire le Regain de Jean Giono… ou bien, pourquoi pas , Que ma joie demeure… C’est vrai que Manosque est à quelques kilomètres seulement et Jean a peut-être vu cet endroit, en mai quand ils font les foins, comme moi.
Cette bâtisse date de quel siècle ? Combien d’hommes et de femmes se sont occupés à ratisser le foin fraîchement coupé pour qu’il sèche bien, là, à cet endroit précis ?
J’estime avoir une chance fabuleuse, inouïe d’avoir vu cette scène dans cet endroit et encore plus merveilleuse la chance d’avoir pu la photographier, et de la partager ici , à l’heure d’aujourd’hui. Chaque jour qui passe me persuade davantage que le sens de la vie même est l’immobilisme.
Sur la route de Reillanne (04) , dimanche 24 mai 2020.
On m’a dit, depuis l’enfance, que le Paradis était perdu. Plus tard, à mes pourquoi, on a répondu que c’était à cause du péché originel, autrement dit, l’acte sexuel entre l’homme et la femme qui engendre un autre soi-même. Au fur et à mesure de mes chemins j’ai observé que si l’humanité n’a jamais cessé de vivre cet enfer intérieur en son cerveau, le monde lui, la terre et le vivant qu’elle abrite a continué son existence paisible en ses règles.
Se reproduire au point de surpeupler l’enfer, ah, le péché originel… ça n’a jamais été un enfer que pour l’humanité, et pour preuve de ce drame existentiel la coupe aujourd’hui déborde au point d’empiéter sur le paradis de l’Autre, le détruisant inexorablement.
Avons-nous assisté à une guerre silencieuse contre nous, avant, aujourd’hui, de mesurer l’extinction globale du vivant ? L’humanité domine, l’humanité règne en son enfer. Les autres, ont-ils eu le temps, simplement de contrer l’hégémonie humaine ?
Quand il n’y aura plus qu’elle en son enfer désolé et vide, sans fleurs, ni vigne, sans abeille, sans passereaux, sans saison … alors elle s’assiera sur les rochers, se tapera sur les cuisses puis fera la guerre avec elle-même jusqu’à l’extermination.
Je suis humaine pécheresse pourtant. Mais puisqu’il m’est donné de voir, j’aurais préféré autre chose.
Sur mon chemin, étourneaux grapillant. Mardi 7 janvier 2020.
C’est le temps magnifique, celui des jours aux lumières incertaines ; plus rien ne se discerne tout à fait dans la pénombre des arbres et le regard se perd, fouille l’ombre à la recherche de la vie cachée, ténue qui s’abrite du froid; mais voilà que l’arbre d’or ensorcelle l’œil.
Magnétique dans son fourreau léger, vibrant, sonore, qu’un souffle dénude ; illuminant l’heure et la pensée.
Sur la neige bleue, l’air dispose les feuilles pour l’éternité.
À moins qu’un chevreuil, un écureuil, un enfant n’en déplace l’ordre…
L’inépuisable* Nature nourrit l’imagination et actionne les mains des hommes depuis le commencement de notre présence.
*J’écris Inépuisable du point de vue des ressources formelles et non pas d’un point de vue ressource matérielle, comme la plupart des gens l’entendent aujourd’hui.
Ne pas s’en passer… comment m’en passer… // bijoux mérovingiens et un peu de la forêt du mont Ventoux, 25 octobre 2019.
Une fois n’est pas coutume je vais présenter ici un film américain. Il date de 1959 et je pense qu’en son temps, vu le nombre de prix qu’il a récolté (1960), il a eu un impact retentissant… mais vite oublié, si j’en juge par son absence de programmation puisque je n’en avais jamais entendu parler ni personne autour de moi… pas plus que du roman.
Est-ce parce qu’il s’agit de la fin du monde ?
Une catastrophe nucléaire par armes de guerre a eu lieu et la Terre est irradiée. Les habitants sont tous morts, à l’exception des Australiens sauvés pour un instant par la distance géographique ; sur place, les scientifiques prédisent l’arrivée des radiations sur le continent dans un délai de cinq mois. Avant cette date fatidique de mort annoncée, on partage « la vie » d’un groupe de personnages.. je n’en dis pas plus, il faut voir et découvrir « Le dernier rivage ». Et pour deux raisons : d’abord parce que l’image en noir et blanc est absolument sublime, les acteurs Gregory Peck, Ava Gardner, Anthony Perkins et tous les autres, y sont très touchants et filmés de façon remarquable et que l’histoire est plus que d’actualité. Je ne cacherai pas qu’à son issue j’ai été chamboulée et très sombre. Le climat et l’ambiance actuels sur Terre laissent prévoir une fin plutôt rapide de l’humanité dans un contexte très conflictuel et très injuste entre les personnes, les pays privilégiés et les plus démunis, sur fond de désertification générale et de destruction quasi intégrale du vivant par dérèglement continuel depuis au moins 50 ans. Ce film m’a fait l’effet d’un premier reflet de miroir.
La fin de notre monde n’est plus une fantasmagorie de collapsologue, une science-fiction de plus pour amateur, un frisson sur écran, une théorie scientifique qu’on peut minimiser et plus grave encore, la question n’est plus de savoir si c’est vrai ou pas. Nous sommes déjà dans le processus rapide de la fin à moyen terme de ce qui a été, de la vie sur Terre… 20,30,50 ans… ?
Il ne nous reste plus qu’à voir notre environnement disparaitre en soutenant ce qui le peut et en insufflant encore les principes de justice et de respect de la vie à ceux qui vont rester. On nous avait prévenu, on n’a pas écouté. « There is still time .. brother »